De l’évolution des espèces
De l’évolution des espèces
Amadou Gueye NGOM Lundi 2 Nov 2009
Il existe mille et une manières de conter et fabuler.
De l’évolution des espèces
Il arrive qu’une espèce végétale ou animale cesse d’évoluer pour entrer dans des phases successives de dégénérescence, voire d’extinction. Parallèlement, la science humaine, par des manipulations génétiques, arrive à créer de nouvelles espèces de poissons de fleurs et même des chats sans poils, au grand bonheur des asthmatiques mais au détriment de ces pauvres félins.
En politique, le mercantilisme et la ruse engendrent des spécimens en vente dans les kiosques de la mauvaise foi.
Deux personnages m’avaient intrigué, séduit et même fasciné avant que les vicissitudes de la vie ne les aient dépouillés de cette spécificité humaine qu’est la dignité. Ils ne sont pas de la même génération mais ont en commun d’avoir attrapé le même virus : l’opportunisme.
Jeune enseignant, j’ai appartenu au SUEL (Syndicat unique de l’enseignement laïc). Il était de bon ton et même de rigueur d’en être membre. Intransigeance, opposition systématique aux autorités administratives et académiques étaient presque érigées en dogme. Notre héros était un certain Thiam qui avait lui-même pour gourou Majmout Diop le charismatique secrétaire général du (parti africain de l’Indépendance) qu’il suivit jusqu’en prison à Saint-Louis. Le verbe du syndicaliste était aussi acéré que le dard d’un crotale. Je reverrai Thiam, quarante ans plus tard… Dégénérescence ou mutation idéologique, le reptile venimeux des terres arides s’était transformé en couleuvre d’eau douce disputant sa pitance aux crapauds des marais. Une autre espèce était née.
Le second personnage, Bôka était mignon, pimpant. Il avait un père et un grand frère adoptifs. Le premier était chef d’Etat, le second, bras droit du père était également son mentor. Ils lui avaient taillé sur mesure le MJUPS (Mouvement des Jeunes de l’Union progressiste sénégalaise) pouponnière d’idéologues de la cellule mère et dont les devoirs de vacances consistaient à croiser le fer avec leurs camarades d’amphi qui se réclamaient du marxisme-léninisme pur jus. C’était un régal d’assister à leurs duels avec les Moctar Diack, Oumar Diop Blondin et compagnie. Ils avaient pour armes les fraîches acquisitions de leurs cours de philo et sciences Po: praxis, dictature du Prolétariat, bourgeoisie compradore, Engels, Hegel, Heidegger, Galbraith, opposition crypto personnelle.... C’était épique, savant. Grand Inasse suivait ses apprentis, les encourageait, veillait à ce qu’ils disposent des plus belles chambres à l’université et surtout que leurs bourses ne souffrent d’aucun retard. On racontait même que Bôka avait droit au port d’arme. J'assistais à ces joutes intellectuelles dans chaque chef lieu de région, carnet et crayon à la main, espérant combler, à peu de frais, l’université buissonnière à laquelle invitait Mai 68.
Vingt ans plus tard, Bôka s’improvisera idéologue-stratège d’une nouvelle croisade : « désenghorisation ». Il fallait convaincre Diouf qu’il était plus grand que Senghor, dans les deux sens du terme. Plus rien ne le retenait. Bôka avait dégénéré en cabot et ses fulgurantes rhétoriques d’antan étaient devenues aboiements et morgue servile. Un jour, pris d’ audace, il montra des crocs au grand frère Inasse. Ce dernier, Saloum Saloum de bonne graine dont les siens n’ont jamais toléré que Poulo Ardo le berger fasse brouter ses vaches dans leurs champs, lui ajusta un mémorable coup de poing en plein Conseil des Palabres.
Ne réveillons pas les démons…
Et maintenant ?
Le pourrissement des valeurs avait produit une génération spontanée d’étalons fougueux décochant des ruades à tous vents. Attelés aux réalités de l’environnement post électoral, certains d’entre eux sont presque devenus des canassons avant que d’avoir blanchi sous le harnais.
Ah, ces râteliers qui longent les parcours…
Amadou Gueye Ngom
Critique social
PS
Un révolutionnaire qui s’embourgeoise me semble bien plus haïssable qu’un salaud qui s’assume.