L’invalidation de l’élection du maire de Ngan
L’invalidation de l’élection du maire de Nganda : de la police des mœurs linguistiques au respect de la volonté populaire
« Bépp làkk rafet na « Toute langue est belle
Buy gindi ci nit xel ma Si elle éveille l’esprit chez l’Homme
Di yee ci jaam ngor la » et la dignité chez l’esclave »
Cheikh Moussa Kâ Traduit en français
Il y a juste sept mois, j’avais attiré l’attention des rédacteurs des rapports des Assises nationales du Sénégal en France sur le danger que représente l’article 28 de la Constitution pour la consolidation des acquis démocratiques de notre pays. Le cours de l’histoire de nos institutions bifurqua, sans tarder, par le Saloum pour déposer ses alluvions dans la Commune de Nganda.
Quels enseignements peut-on tirer de la lecture de cet article 28 de la Constitution du Sénégal, au regard de l’affaire de la Commune de Nganda, dans l’intérêt des collectivités infra-étatiques que sont les communes et les communautés rurales ?
L’article 28, dans sa dernière version du 22 janvier 2001, dispose que « Tout candidat à la présidence de la république doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle ».
Analysons la deuxième phrase de cet article à la lumière de la situation sociolinguistique de notre pays. Le Sénégal est un pays démocratique qui compte 70,8 % d’analphabètes en français en 2008 (Sources : www.indexmundi.com). Pays francophone, notre pays est riche de sa diversité linguistique. Ses langues nationales sont incontournables pour l’exercice de sa démocratie représentative.
Qu’un candidat à la présidence de la république soit exclusivement de nationalité sénégalaise me semble plus ou moins défendable lorsqu’on se place dans l’optique d’une gestion des secrets d’Etat. De même que les conditions d’âge et les règles de probité à satisfaire restent indiscutables pour la haute idée que nous avons de la fonction du Président de la République. Mais que reste-t-il en substance à une démocratie qui écarte du débat public et de la gestion des affaires publiques 70,8 % de son corps électoral sur une simple considération linguistique ?
Le problème n’est pas aussi simple pour les Sénégalais formés à l’école arabe, à l’école italienne, à l’école espagnole ou américaine qui sont à la fois électeurs et éligibles.
Quelle perspective de retour offrons-nous aux enfants de la diaspora sénégalaise en Europe et aux Amériques qui s’expriment dans nos langues nationales et dans une langue autre que le français ?
La Constitution attend de ces futurs candidats qu’ils sachent écrire, lire et parler couramment le français, notre langue officielle.
Aujourd’hui, devrions-nous nous attendre à ce qu’une telle exigence s’impose aux candidats à toute élection comme le montre celle qui concerne la Commune de Nganda ?
Ainsi, la décision de la Cour d’Appel de Dakar d’invalider l’élection de Monsieur Der Cissé pour « illettrisme en français » nous invite à réfléchir sur le rôle du juge, sur notre rapport avec le français, notre langue officielle, et sa cohabitation pacifique avec nos langues nationales dites « langues partenaires » selon la terminologie de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Le juge du contentieux électoral, quels que soient les arguments juridiques avancés à l’appui de sa décision, ne saurait se substituer à la volonté éclairée du corps électoral de Nganda. « Au-delà du texte mais dans le texte » disait Raymond Saleilles aux juristes français qui ont inspiré les auteurs du Droit positif sénégalais pour attirer leur attention sur la lettre et l’esprit des textes juridiques à interpréter. Même si l’article 101 du Code des collectivités locales proscrit toute gestion municipale par des analphabètes, on ne saurait considérer comme analphabète toute personne qui aurait le tort de ne savoir ni lire ni écrire en français.
Or, dans la mentalité collective sénégalaise, est analphabète celui qui ne sait ni lire ni écrire en français.
La Cour d’appel de Dakar est tombée dans le même piège se faisant l’écho de l’article 28 de la Loi fondamentale sans le citer. En bonne logique, on est analphabète dans une langue ; par exemple en français, en arabe, en wolof, en sérère ou en manjak….
Mais voyez-vous, la justice est rendue au Sénégal au nom du peuple sénégalais en français, notre langue officielle, dans un langage juridique hermétique qui exclut au moins les 3/4 des 29,2 % de Sénégalais qui prétendent savoir lire, parler et écrire couramment le français.
Reportez-vous au Lexique des Termes Juridiques des Editions Dalloz utilisés par les facultés de droit du Sénégal et d’Afrique francophone, vous saurez pour qui les règles du jeu démocratique ont été édictées.
« Nemo censetur ignorare legem » (Nul n’est censé ignorer la loi).
L’affaire de la Commune de Nganda est un concentré de tous les maux qui rongent le Sénégal. Notre pays est plus latin que français par son engouement pour une élite francophone qui s’identifie moins au gouvernement des meilleurs qu’à un regroupement d’hommes et de femmes partageant les mêmes intérêts politiques. Par la force des choses, le Sénégal aspire même à s’américaniser pour espérer tenir son rang au banquet de l’universel dont la langue fétiche est aujourd’hui l’anglais. Il suffit d’être titulaire d’un doctorat d’une université française ou américaine ou tout au moins d’un Master en Finances dans notre pays pour se croire investi d’une mission de développement économique avec un blanc-seing qui nous vaut aujourd’hui la gestion calamiteuse de nos ressources nationales.
Exercez-vous, sur un échantillon de 20 Sénégalais alphabétisés en français, à leur demander de vous citer cinq intellectuels les plus connus dans l’histoire de notre pays : ils vous citeront à coup sûr Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Birago Diop, Ousmane Sembène et Cheikh Anta Diop.
Vous parleront-ils de Aliou Thiam, le poète compagnon de El-Hadji Oumar Tall, de Guélaye Ali Fall, le poète du Fouta, de Karamo Sitokoto Dabo, le poète mandingue, de El-Hadji Mbal Fodé, le poète diakhanké et de son fils El-Hadji Sidiya Diaby de Talisma, de Kocc Barma, de Ndamal Gossas, de Makhtar Ndoumbé Diop, de Khali Madiakhaté Kala, de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, d’El-Hadji Malick Sy, du poète soufi Mame Khalifa Niasse, de Cheikh Moussa Kâ, de la poétesse sérère Marône Ndiaye, de Baye Malick Mbaye et de Serigne Mbaye Diakhaté … ? Assurément non ! Nganda n’est donc qu’un symptôme d’une maladie qui rend floue notre vision du monde.
Le corps électoral de Nganda, à l’issue des élections du 22 mars 2009, a donné sa confiance à une équipe municipale qui, à son tour, a choisi son maire. Ce mimétisme institutionnel ne devrait pas nous conduire jusqu’à renier ce qui, en substance, fait la légitimité et la légalité du conseil municipal en cause. Il importe peu que des conseillers municipaux ou ruraux d’une localité donnée, parlent uniquement arabe et wolof. Ce qui est déterminant ici c’est la sérénité du vote et le sens donné au suffrage exprimé par les populations. On ne saurait en amont préjuger de la façon dont la collectivité locale va gérer les affaires publiques pour disqualifier l’équipe municipale choisie par les populations de Nganda.
Toutefois, si les règles de gestion des collectivités locales obéissent toujours aux lois de la comptabilité publique d’inspiration française, le Sénégal n’a pas encore donné de solutions heureuses à l’application des travaux de Ameth Diouf et de Arame Fal Diop ( Ndeyu àtte réewum Senegaal, Constitution du Sénégal en wolof, Edition Publifan, Dakar, 1999).
C’est ainsi qu’on peut relever dans ce travail précieux des notions techniques comme l’assiette de l’impôt (en wolof lalu lempo), le budget (en wolof nafa gi), le scrutin (en wolof en palin wi), l’élection (en wolof pal gi), le suffrage indirect (en wolof palug jaarale gi), le suffrage universel (en wolof palug matale gi)…auxquelles les populations alphabétisées en langues nationales devraient se familiariser.
Le travail d’enquêtes, dévoilé par le journaliste-écrivain Abdou Latif Coulibaly sur le nombre de députés, exclus de fait des débats parlementaires, en raison de la faiblesse de leur niveau d’instruction en français, devant le Comité France des Assises nationales, à la Bourse du Travail de Saint-Denis, le 29 novembre 2008, donne encore une fois raison à Ameth Diouf et à Arame Fal Diop.
Selon Abdou Latif Coulibaly : « […] 47 % des députés qui siègent à l’Assemblée nationale ont à peine le niveau secondaire. Sur la simple consultation des curriculum vitae (C.V) qui ont été publiés, on arrive à faire ce constat lamentable, sans compter que la plupart des CV sont faux. 13 % des députés ont, eux, un niveau universitaire confirmé. 30 % sont à peine lettrés.
Ça fait 77 % des députés qui sont bon pour rien. Ils ne sont pas préparés à faire un travail législatif ; ils ne comprennent même pas la langue dans laquelle les projets de loi sont rédigés. Est-ce qu’ils peuvent faire un travail responsable ?... »
Ce constat, ajusté à la vision d’une école formelle comme unique vivier de talents du Secteur public, devrait nous faire réfléchir davantage sur la nécessité d’un plurilinguisme institutionnel au service du développement de notre pays.
Ainsi, en proposant de traduire les rapports des Assises nationales dans les langues nationales, le Doyen Amadou-Mahtar Mbow s’inscrit dans une logique de partage des fruits d’un travail qui concerne tous les Sénégalais. Voila une belle leçon de démocratie participative qu’un Homme d’Etat pourrait offrir à son peuple !
Faut-il alors continuer à maintenir les populations à la périphérie de la gestion des affaires publiques au seul motif qu’elles ne parlent pas la langue officielle de notre pays ?
Que cherche-t-on dans la décentralisation sans une perspective d’autonomie des populations ?
Dans notre pays, nous avons appris à observer le respect de l’autorité de la chose jugée. C’est la rançon de la stabilité de notre institution judiciaire que nous payons de nos jours au prix fort avec tant de vies et d’espoirs brisés. Il serait temps que certains juges sénégalais n’acceptent plus d’être réduits à de simples « codes animés » (la formule est de Montesquieu).
Sous chaque toge d’un magistrat se cache un être humain avec ses forces et ses faiblesses.
L’institution du système de degrés de juridiction dans l’organisation judiciaire du Sénégal est à elle seule un renoncement à l’idée de l’infaillibilité du juge. Mais que penser du juge sénégalais lorsqu’il se substitue à la volonté des électeurs de Nganda ?
Les sujets de droit, épris de justice et de liberté, justifiant d’un intérêt à agir, ont dit non au juge en utilisant les voies de droit offertes par les juridictions supérieures.
Il s’agit là d’une démarche citoyenne qui aidera notre pays à moraliser les rapports entre le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir judiciaire.
La décision de la Cour Suprême rétablissant le Maire de Nganda dans ses droits honore ses magistrats dans l’arbitrage de la démocratie de notre pays. Mais notre institution judiciaire se fragilise de jour en jour même si elle peut s’enorgueillir d’avoir mis au monde Issac Forster, Kéba Mbaye, El-Hadji Diouf, Abdoulaye Mathurin Diop, Ousmane Ngoundiam, Leyti Kama, Dior Fall... Elle nous inquiète dans sa façon de défendre nos libertés fondamentales lorsque la politique entre dans le palais de justice.
Et l’image de notre démocratie en souffre énormément. L’affaire de Nganda s’annonce, en définitive, comme une « Alerte sous les Tropiques », rappelant, il y a plus d’un demi-siècle, les mises en garde toujours d’actualité du grand visionnaire Cheikh Anta Diop contre les agressions culturelles dont souffre l’Afrique.
Elle révèle, au-delà du facteur linguistique, la fragilité d’un système démocratique qui a du mal à s’assumer dans une république laïque sous la menace permanente d’un cyclone né de la rencontre de deux courants répulsifs : l’arabité et la francité.
Les défenseurs de Nganda, à travers l’intervention du Khalife des Niassènes Serigne Oumar Niasse devant la presse, ont élevé la voix, avec raison, pour exprimer leur indignation face à l’invalidation de l’élection du maire Der Cissé. En tant que citoyens animant des lieux d’expression publique comme Léona Niassène, ils ne devraient pas perdre de vue que l’arabe et le français sont des langues au même titre que le pulaar, le diola, le manjak, le sérère, le soninké et le wolof.
Le poète Cheikh Moussa Kâ (1891-1966) l’avait bien compris souscrivant, avant l’heure, à l’équilibre des forces linguistiques dans notre pays en ces termes :
« Pël yaa nga naa mbiimi,
Wolof ya naa dama ne,
Buur Yàlla moom xam na
seeni wax fu ñu mana ne ».
La voix du peuple serait-t-elle toujours la voix de Dieu pour les adeptes du latin ?
« Vox populi vox dei ».
Les règles de préséance qui placent le français au sommet de la pyramide des langues de notre pays, à tort ou à raison, ne doivent pas nous faire oublier la formule du sage : « Un oui n’a de sens que si l’on a le droit de dire non ».
Et la Commune de Nganda a déjà dit oui trois fois à Monsieur Der Cissé : par le vote des citoyens, par le vote de son Conseil municipal et par la marche de protestation de ses citoyens qui a préféré le désordre à l’injustice face à la décision critiquable de la Cour d’appel de Dakar.
Daouda Ndiaye
Docteur en Sciences de l’Education
Alfortville (Val-de-Marne)
Poète, auteur de Keppaarug guy gi (L’Ombre du baobab), 1999 et de Gàddaay gi (L’Exil), 2003, recueils de poèmes en wolof, Editions L’Harmattan, Paris.