Dix années d’alter-noce, un bilan largement n
Dix années d’alter-noce, un bilan largement négatif
Le 19 mars 2000, le Sénégal montrait la voie, en choisissant de mettre un terme à quarante années de gestion socialiste. Et cela dans la douceur. En optant pour ce schéma démocratique, les Sénégalais manifestaient la volonté congrue d’un changement profond qui allait concrétiser, enfin, leurs demandes de plus en plus préoccupantes. Malheureusement, les dix années du président Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal ont tristement été couronnées de résultats médiocres, d’une gestion catastrophique et d’échecs récurrents. Non seulement les libéraux acclimatés ( ?) n’ont pas été à la hauteur ; ils ont plongé le Sénégal dans une situation de dégradation telle que l’alternance est devenue un remède plus douloureux que le mal.
Si les Sénégalais, dans leur majorité - avec un taux élevé de 82 % - tirent un bilan largement négatif du président Abdoulaye Wade - qui s’est plus singularisé par un comportement désinvolte, voire désintéressé par rapport à leurs préoccupations mais a consacré toute son énergie à son fameux projet de dévolution monarchique - il est nécessaire, pour nous, de rappeler qu’un bilan synthétise toujours un actif et un passif. De facto, la méthode unique du régime de l’alternoce de tirer son bilan, par un inventaire de chiffres truqués est non seulement une supercherie en bonne et due forme, mais aussi aux antipodes des normes internationales telles qu’Ias et Ifrs. Dresser le bilan médiocre des dix années du président Abdoulaye Wade consistera d’abord à élaborer un état des lieux de la situation du Sénégal au 01 avril 2000. Ensuite, montrer l’actif et le passif de l’alternance et, enfin, faire un constat du Sénégal actuel.
Certes, la situation politique, diplomatique, économique et sociale du Sénégal était sous perfusion. Mais, elle n’était pas si alarmante. Pour redresser le pays, le président Abdoulaye Wade et ses alliés avaient hérité d’importants acquis laissés par le régime socialiste. D’ailleurs, le président Abdoulaye Wade en personne témoignait dans une de ses premières interviews : ’Je ne dirai pas que j’ai hérité d’un pays pourri, aux caisses vides.’
Le Sénégal était une vitrine de la démocratie en Afrique et dans le monde. C’est l’un des premiers pays africains à avoir réussi à organiser des élections incontestées, car libres, transparentes, démocratiques. Et cela, nous le devons au département de l’Intérieur qui était tenu par un ministre chevronné, modéré et neutre, le général Lamine Cissé, renforcé par l’Onel qui fut un organisme libre et disposant de moyens suffisants pour réguler, superviser et contrôler les scrutins. Cette démocratie n’aurait aussi pas pu être réalisable sans la Direction générale des élections qui a mis en place la carte électorale infalsifiable, l’encre indélébile, un fichier électoral accessible et consensuel, permis l’accès libre des médias dans les lieux de vote, la représentation des partis politiques dans les bureaux de vote. Et, enfin, nous devons cette belle victoire à la souveraineté du Conseil constitutionnel qui avait validé les résultats de l’élection.
Sur le plan géostratégique, le Sénégal menait une politique étrangère cohérente et brillante qui en faisait l’interlocuteur apprécié de la communauté internationale. Des hommes expérimentés, compétents, rigoureux et surtout rompus aux arcanes des relations internationales conduisaient, avec une rare élégance, notre diplomatie. Le Sénégal entretenait d’excellentes relations avec ses voisins.
Sur le plan économique et financier, les avoirs nets du Sénégal étaient de 341,6 milliards de francs Cfa, le trésor public disposait d’une réserve estimée à 296 milliards de francs Cfa à la Bceao. Il est à noter que le Sénégal n’a jamais creusé son découvert à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. En 1999, le Sénégal réduisait son déficit budgétaire à 1,1 milliard de francs Cfa, avec un taux d’investissement de 1,1 %, une croissance de 5,1 %, une inflation maîtrisée à 0,8 %, un déficit de la balance courante de 3,42 milliards de francs Cfa, et un revenu national par tête de 328 dollars.
Le crédit rural permettant aux paysans d’emprunter pour financer leurs projets agricoles était de 7 %. Malgré les accords signés avec les pays asiatiques et l’Union européenne, la pêche avec 123 809 tonnes a augmenté de 47,7 %. Le produit cimentier de 908 393 tonnes a grimpé de 53,4 %, une exploitation augmentant de 13,5 % du phosphate avec 1 800 000 tonnes. 420 000 touristes ont visité le Sénégal avant le 01 avril 2000 ; soit une progression de + 11,5 % par rapport à l’année 1999. 4 378 kilomètres de routes ont été bitumés plus le renforcement de certains axes routiers par des travaux neufs. En 2000, le taux de scolarisation au Sénégal était de 70 %, celui de l’alphabétisation de 51.1 %, l’espérance de vie était de 55 ans. Un effort ardent était notable sur la sécurité des personnes et de leurs biens par la lutte contre l’insécurité et le banditisme.
Aujourd’hui, force est de constater qu’on a beaucoup reculé. Le bilan des dix années de gestion libérale est frustrant face aux attentes des Sénégalais. Les maigres réalisations sont, non seulement insuffisantes, mais non conformes à la réalité, à la nécessité et à l’urgence. En somme, elles sont inutiles. A deux ans de la fin du mandat du président Wade, le passif l’emporte nettement sur l’actif : l’action de l’actuel régime est plus marquée par les contre performances, les échecs, les promesses non tenues et les projets qui tardent à s’opérer. Le constat est négatif et cela est inéluctable : recul politique, diplomatique, économique et social sont les faits marquant du régime Wade.
D’abord, l’installation récurrente à la place Soweto de ministre dont l’appartenance politique au Pds ne fait l’ombre d’aucun doute, a beaucoup erroné le jeu démocratique. Ce qui fut encore une volonté manifeste du président Abdoulaye Wade de ne pas donner un gage pour la clarté des joutes électorales. Et ne permet pas l’organisation d’élections libres, démocratiques et incontestables. La Cena actuelle manque de moyens et d’indépendance, le fichier électoral est inaccessible, pipé et douteux. La diplomatie sénégalaise commet régulièrement des impairs par des déclarations malhabiles et inopportunes.
La plupart de nos représentations diplomatiques sont dirigées par de faux diplomates sans cursus ne maîtrisant aucun dossier, n’ayant aucune connaissance du droit international et casés par leur simple proximité avec le régime ou par leurs liens de parenté avec les gouvernants. Le Sénégal a amplement rétrogradé entre le 1er avril 2000 et le 19 mars 2010, effectuant un recul qualitatif et quantitatif dans des domaines essentiels. Son économie s’est fortement délabrée et ne cesse de s’ancrer au sein des Pays les moins avancés (Pma) et des Pays pauvres très endettés (Ppte).
Par manque de moyens et face à la hausse de 22 % du niveau général des prix et du pouvoir d’achat qui s’effrite, le taux de consommation a baissé de 32 %, le chômage a progressé avec 9 jeunes inactifs sur 10 et le Sénégal demeure lourdement endetté malgré ses multiples rééchelonnements et les nombreuses annulations de dette dont il a bénéficié.
La précarité en hausse a fait perdre aux Sénégalais leurs repères sociaux, ethniques et religieux, les faisant ainsi côtoyer des pratiques jadis étrangères à notre société, à notre culture ou tout au moins marginales : crimes, vols, agressions, prostitution et mendicité. La grave crise sociale a installé une pauvreté de plus en plus chronique, des maladies épidémiques dans les bidonvilles, une famine désastreuse. Les hôpitaux sont en manque de moyens, les médecins mal payés exercent pour la plupart dans le privé ou à l’étranger. Dans nos structures sanitaires, le matériel de soins est archaïque et manque d’hygiène. Aussi, en plus d’un système éducatif politisé, les étudiants et élèves sont dans de mauvaises conditions d’apprentissage.
Le manque de transparence dans la gestion des richesses du pays et de l’aide internationale, favorise la mise en place de véritables oligopoles, de la corruption et du détournement impuni des deniers publics. L’impression est que le pouvoir en place est un système corrompu, incompétent et irrémédiablement voué à l’échec dans l’administration des affaires publiques.
En somme, le bilan des dix années du président Abdoulaye Wade à la tête de la magistrature suprême est si accablant que cela devait même lui ôter toute prétention de vouloir briguer un troisième mandat. Cela doit l’inciter à chercher à quitter le pouvoir pendant qu’il est encore temps. Malheureusement, il ne cesse de s’entêter dans son dessein de projet monarchique qui n’aboutira pas. Le Sénégal actuel est catastrophiquement délabré semblable à ce que Talleyrand appelait, en terme diplomatique, le chaos général.
Cheikh Sidiya DIOP Secrétaire général de la Ligue des masses dcheikhsidiya@gmail.com