ressentiment des pratiques politiques
La politique n’est plus ce qu’elle était !
En reprenant ce titre de l’ouvrage de René Raymond (1) qui date déjà de quelques années, mais exprime, de manière remarquable, notre sentiment, sinon ressentiment des pratiques politiques en cours sur le continent africain, plus particulièrement au Sénégal. La politique telle qu’elle apparaît dans les pores des sociétés modernes traduit, dans son essence, un engagement pour des valeurs, des principes, des projets de société dans un souci de répondre subséquemment aux attentes des populations qui ont cristallisé leurs espoirs sur la capacité des hommes, dont la profession est de faire de la politique ou d’agir dans le sens du renforcement des capacités vitales de la société. Cela suppose un certain savoir, non seulement dans l’art de gouverner, mais de maîtriser les fondements sans lesquels l’action politique est désincarnée et perd sa substance pour demeurer hélas un champ dominé par un clan dont on ne peut limiter ou contrôler la libido financière et ‘pouvoiriste’.
En effet, la bonne gouvernance politique, au-delà des mécanismes institutionnels de base, des ressources humaines qualifiées pour en assurer la fonctionnalité, exige la sédimentation dans l’esprit des acteurs dominants du sens élevé de la notion d’Etat, de l’intérêt général, de la nécessité de servir et rendre compte aux citoyens. Naturellement, un contrat social constitue le levain de toute démarche s’inscrivant dans une logique constructive et dynamique de la démocratie, de ses règles de jeu et du terreau fertilisant, autrement dit le renforcement de la vitalité des formations politiques dans un espace public stimulé par une pensée, un comportement et une passion démocratiques.
Force est malheureusement de constater que l’image du politique en Afrique se réduit à des concepts emblématiques de ‘politique du ventre’ ou de ‘néo-patrimonialisme’. Même si on ne partage pas forcément cette appréhension de l’activité politique, ils caractérisent, nous semble-t-il, les agissements de la plupart de ceux qui sont portés au sommet des Etats africains. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance, à savoir l’absence ou la fébrilité des contre-pouvoirs, l’accaparement et les velléités de fossilisation au pouvoir, les ambigüités dans la gestion des ressources publiques, la sacralisation du pouvoir par le culte de la personnalité, pour ne citer que ceux-là. Il en résulte une situation délétère, marquée par la violence, l’immobilisme qui se révèle dans le tarissement de l’imagination politique. Alors, pour maintenir le statu quo et mettre le temps à son profit, on joue à l’apprenti sorcier par le truchement de déclarations dépouillées de tout réalisme, simplement pour amuser la galerie, peut-on dire, et distraire une opposition en hibernation ou enfermée dans les querelles de chefs, plutôt que de remplir sa mission cardinale d’animateur du champ politique pour espérer prendre une revanche méritée.
Le vide politique et l’émergence de nouveaux acteurs
‘L’ère du vide’ semble gagner un paysage politique sous-tendu par une compétition, entre des ambitions individualistes, solitaires et sectaires, qui plombe actuellement une démocratie que l’on présentait comme la référence en Afrique. Non seulement, elle perd cette place préférentielle puisque le pays n’est plus pionnier en la matière, mais celui-ci s’enfonce davantage dans les méandres de la mal gouvernance et du cynisme politiques. Cette paralysie, renforcée par le manque de dialogue républicain entre majorité et opposition, va entraîner l’irruption sur la scène politique d’éléments nouveaux porteurs de revendications sociétales et politiques. Ainsi, des groupes se réclamant de ‘mouvements citoyens’ ou de tendances religieuses (action des imams de banlieues et d’autres marabouts politiques) tentent, de manière dispersée ou cherchant à se coaliser, de s’imposer comme alternatives aux formations politiques traditionnelles qui deviennent peu visibles, puisque comblées par le triomphe des Assises nationales et des élections locales.
Néanmoins, le phénomène de ‘déclaration d’intention’ de la part d’hommes politiques, ‘déclassés’, et découvrant curieusement que la démocratie et les institutions sont menacées ou de ceux qui réclament leur appartenance à la société civile est en effet symptomatique de la désaffection des citoyens, en quête de survie, à l’endroit des hommes politiques qui n’incarnent plus leur rêve même si la sanction politique est réelle lors des dernières élections. Ce vote n’est pas un gage d’une adhésion aveugle d’autant que la crédibilité de l’opposition risque de s’émousser au fil du temps en raison des rivalités de personnes et de positionnement depuis l’annonce prématurée, mais combien stratégique de la candidature du président en 2012.
Cela dit, la démocratie ne peut être préservée et renforcée que si les intellectuels y jouent leur partition, en s’impliquant comme garants des valeurs qui fondent la République et la nature du régime politique. Sur ce point précis, il convient de mettre l’accent sur un constat bien déplorable, celui de la démission d’une certaine élite intellectuelle peu soucieuse du sort de leurs concitoyens, car, détentrice de biens matériels et immatériels circonscrits au cercle familial, elle choisit par frilosité de se terrer dans sa tour d’ivoire. L’autre catégorie, animée de motivations opportunistes, reprend les thèmes officiels comme fonds de commerce pour espérer, sans scrupule, une position d’accumulation de ressources quelles qu’en soient les modalités. Pendant ce temps, le discours plat et la politique politicienne restent l’apanage de groupes peu enclins à produire une réflexion de qualité et qui empruntent la voie sans issue de la confrontation et du dénigrement.
Alors, il est temps de réagir pour que la politique reprenne ses lettres de noblesse ou ses habits neufs dans une société où les intellectuels, une composante essentielle de la vraie société civile, se distinguent par leur engagement dans la bataille pour la liberté, la justice et l’équité.
Moussa DIAW Enseignant-chercheur en Science politique Université Gaston Berger de Saint-Louis
1 - Ancien président de la Fondation nationale de sciences po de Paris