la mer vidée de ses poissons
PROTOCOLE AUTORISANT DES NAVIRES ETRANGERS A EXPLOITER LES RESSOURCES PELAGIQUES MIGRATRICES AU LARGE DES COTES SENEGALAISES
« Le temps révèle tout : c’est un bavard qui parle sans être interrogé »
Au motif qu’au large des eaux sous juridiction sénégalaises se trouvent des ressources pélagiques migratrices que, faute de moyens, les pêcheurs sénégalais tant artisans qu’industriels ne sont pas capables d’exploiter, le ministre de l’Economie maritime (MEM)de notre pays, a estimé que comme au Maroc et en Mauritanie, des bateaux étrangers devaient être autorisés à les exploiter au lieu de les laisser mourir, ce qui constituerait une perte pour le trésor public sénégalais qui pouvait en tirer d’importantes ressources financières.
Après plusieurs mois de dénégations suivis d’un aveu tardif, les choses s’éclaircissent chaque jour davantage et l’on découvre que le MEM, poursuivant sa logique jusqu’au bout, a signé un protocole avec un homme d’affaires de la place représentant d’une société basée au Panama. Cet homme d’affaires, présent dans le secteur de la pêche depuis les années quatre vingt, a été de tous les coups sulfureux connus, démontrant ainsi la très grand reconnaissance qu’il a vis-à-vis du Sénégal, pays qui l’a accueilli à bras ouverts.
Un protocole a été signé le 11 mars 2011, ses défenseurs soutiennent avec assurance que ? les autorisations de pêche demandées ne concernent qu’une période de 4 mois durant lesquels, ces bateaux ne devraient pêcher que 60.000 tonnes sur 1.4 millions de tonnes disponibles pour le Maroc, la Mauritanie, la Gambie, le Sénégal et la Guinée Bissau. Ils affirment qu’aucune disposition du code de la pêche n’interdit, aujourd’hui, à l’Etat du Sénégal de prendre des décisions sur l’utilisation de ces ressources d’une part et d’autre part, que l’avis défavorable de la Commission Consultative, d’Attribution des Licences de pêche (CCALP) n’engage pas le ministre qui a la faculté d’aller dans le sens de la commission, ou dans le sens contraire. Enfin, il est souligné que le ministère s’est doté de moyens de surveillance des eaux territoriales et que parallèlement aux moyens déjà disponibles avec des bateaux et des avions de surveillance, que du Nord ou Sud existe un maillage des zones côtières avec des services décentralisés équipés de moyens de détection et de surveillance des navires de pêche (source Walf, Seyni DIOP, 27 décembre 2010) ».
Points saillants du protocole signé entre l’Etat et une société privée
• C’est un protocole qui a été signé le 11 mars 2011 ;
• Ce qui est autorisé, c’est l’exploitation de ressources pélagiques migratrices ;
• Le volume de pêche autorisé est à hauteur d’un tonnage global de 5.000 tonnes ;
• C’est une période indicative de 2 mois, délai courant à partir du jour d’entrée du bateau dans les eaux sénégalaises, qui est inscrite dans le protocole, la valeur des captures également est indicative ;
• La contrepartie exigée est le paiement de 35 $ par tonne pêchée ;
• Le cautionnement exigible se situe respectivement à 10 et 20 millions de FCFA ;
• Le pourcentage de prises accessoires toléré est fixé à 3% pour chaque navire autorisé à pêcher dans la ZEE sénégalaise et au-delà, elles deviennent propriété du Sénégal. Toutefois, leur commercialisation, au cours international du jour de la vente, est confiée à l’armateur et le produit de la vente est destiné à contribuer à l’amélioration des conditions de travail des services du MEM impliqués dans le contrôle des opérations de pêche ;
• Une tolérance de 10% sur la mesure de la maille des filets est accordée ;
• Le non respect de la réglementation en vigueur expose les navires délinquants aux sanctions prévues par code de la pêche, l’utilisation de technique de pêche autre que celle précisée dans le protocole est interdite et les navires s’abstiendront à pêcher les espèces interdites ;
• La rémunération d'un observateur est fixée à 16.000 FCFA par personne et par jour, plus 15.000 FCFA pour couvrir les frais d’installation à quai ou 30.000 FCFA en mer. En sus, il est prévu une prime de 60.000 FCFA par observateur et par marée ;
• Le débarquement des captures se fait sous la supervision de l’inspecteur, une copie du connaissement devant être remise à l’inspecteur qui est tenu de la transmettre à la DSPS et par l’intermédiaire du rapport que l’observateur doit déposer à la fin de la marée.
Commentaires
En dépit des déclamations du MEM et de ses affidés, les dispositions de la loi 98-32 du 14 avril1998 portant code la pêche n’ont nullement été respectées. Le code de la pêche ne prévoit que deux possibilités pour qu’un navire étranger soit autorisé à pêcher au Sénégal, à savoir un accord de pêche ou un affrètement. Le MEM a choisi une troisième voie à savoir, la signature d’un protocole signé entre l’Etat et un opérateur privé, ce que la législation en vigueur au Sénégal ne prévoit pas. C’est en Mauritanie que la loi n° 2000-25 du 24 janvier 2000 prévoit des arrangements et ce pays, contrairement au nôtre, destine 95 % de sa production halieutique à l’exportation sans transformation et assimile les transbordements en rade du Port Autonome de Nouadhibou (PAN) à des débarquements. Les exportations de produits de pêche couvrent 25% des recettes budgétaires de ce pays ce qui n’est pas que le cas du Sénégal, qui n’a pas besoin de fonds provenant un quelconque accord de pêche pour arrêter sa loi des finances annuelle.
Il est à noter que dans le protocole signé, le MEM se réfère à des ressources pélagiques migratrices ignorant, sans doute, qu’il s’agit de thons appelés pélagiques hauturiers et les sardinelles classées dans la catégorie des pélagiques côtiers. Ce sont toutes les deux, des espèces migratrices qui effectuent des déplacements de grandes amplitudes. A cet égard, si on s’en tient au libellé figurant au protocole du 11 mars 2011, l’armateur qui l’a signé avec le MEM, est autorisé à pêcher non seulement des sardinelles, chinchards et maquereaux mais également des thons, marlins et espadons.
En outre, dans le protocole susvisé, il est indiqué que le volume de captures est de 5.000 tonnes et que ce chiffre est donné à titre indicatif, il en est de même de la valeur commerciale ainsi que de sa durée. Contrairement aux insinuations d’un haut fonctionnaire du département, dans « les accords de pêche secrets » un protocole a bien été signé le 16 juin 1995, les prix de vente des captures, les modalités d’exécution de l’opération de pêche ainsi que la clef de répartition des revenus entre les différents protagonistes étaient explicitement indiqués.
Par ailleurs, bien qu’il soit soutenu, à cor et à cris, que le trésor public sénégalais allait encaisser des milliards de FCFA, il apparaît que dans l’opération en cours, la contrepartie financière attendue est inférieure à celle perçue par la Mauritanie. Il suffit, pour s’en convaincre de se référer à la circulaire n°38 du 31 juillet 2006 portant modification des conditions financières d’accès des navires pélagiques à ZEE mauritanienne, signée par le ministre chargé des Pêches et de l’Economie Maritime (MPEM), pour constater que deux cas y sont prévus. S’il s’agit d’un affrètement l’armateur doit payer une redevance annuelle de 17 dollars US par GT et céder à l’affréteur mauritanien 23% du volume des captures effectuées, l’affréteur supportant les charges internes y compris la fiscalité. Dans le cas d’une licence libre (concept inconnu au Sénégal) la redevance annuelle due par l’armateur est de 180 dollars US par GT et par an, avec en sus, le paiement des frais d’observateur, de surveillance et le transbordement de la totalité des captures en rade du PAN, sous supervision douanière comme précisé à l’article 17 de la loi 2000-25 du 24 janvier 2000.
Dans le protocole signé par le MEM, l’observation stricte du code de la pêche loi 98-32 du 14 avril 1998 et de son décret d’application 98-498 du 10 juin 1998 est exigée. Pourtant, le montant du cautionnement à payer par l’armateur n’est pas conforme au code de la pêche sénégalais qui, en son article 85 fixe une fourchette de 15 à 20 millions FCFA par bateau, alors que dans le protocole précité, le cautionnement va de 10 à 20 millions de FCFA. Il en est de même de la tolérance de 10% consentie en ce qui concerne la mesure de la maille des filets ; cette libéralité non prévue par la loi n’a, toutefois, aucune incidence, la mesure de la maille d’un filet étant à arrondir au millimètre supérieur. Il n’est pas, en outre, précisé s’il s’agit d’une maille étirée ou d’une ouverture de maille.
Par ailleurs, inscrire dans un protocole que l’on doit s’abstenir de pêcher les espèces interdites sans préciser lesquelles n’a pas de sens. Il est également indiqué que le non respect de la législation en vigueur expose le navire incriminé aux sanctions prévues par le code de la pêche, alors que le protocole signé, lui-même, constitue une violation délibérée dudit code.
En ce qui concerne les observateurs, la virulence de leurs propos tels que rapportés par la presse locale ainsi que leur courroux se comprennent, si l’on considère qu’il est prévu pour chacun d’entre eux embarqué, une rémunération journalière ainsi que d’autres avantages. Les bateaux étrangers sur lesquels, ils ont des possibilités d’embarquement ne sont pas nombreux au Sénégal, aussi considèrent-ils toute opposition à l’entrée des bateaux russes dans les eaux sénégalaises, comme une tentative «de leur ôter le pain de la bouche ». Toutefois, la mission qui leur est confiée dans le protocole du 11 mars 2011 va au-delà de ce que le prévoit l’article 57 du décret 98-498 : le contrôle de la pollution marine, sous toutes ses formes, n’est pas de la compétence d’un observateur. Ce sont les opérations de pêche en mer qu’un observateur est chargé de contrôler.
Il est souligné que le pourcentage de captures accessoires est limité à 3% des prises de chaque bateau, l’excédent est vendu au profit de l’Etat et sa contrevaleur versée au Ministère de l’Economie Maritime. Cette disposition est contraire au principe de l’unicité de caisse de l’Etat. A ce propos, il est utile de rappeler que dans le dernier accord de pêche signé avec l’Espagne, avant l’adhésion de ce pays à la CEE, une disposition identique avait été prévue et des sommes versées à la BNDS pour le compte du Secrétariat d’Etat à la Pêche maritime. Cette disposition a été fustigée par l’Inspection Générale d’Etat et depuis, elle n’a plus été reconduite.
En définitive, la pêche au Sénégal, c’est une consommation annuelle de 26 kg/homme/an, 17 % des emplois directs et indirects, 53.000 pêcheurs artisans, 17.000 pirogues, 1,7% du PIB, 12,7% des recettes d’exportation et 80% des protéines animales consommées par les 12 millions de sénégalais proviennent du poisson. Une vingtaine de chalutiers pélagiques de 3.142 à 7.765 GT sont capables de pêcher en 4 mois autant que toute la pêche artisanale, en 12 mois. Le cumul de leurs prises respectives dépasse le volume des captures qu’il est possible de prélever dans les eaux maritimes sans compromettre le renouvellement des stocks. Avec 10 tonnes/heure, 14 à 16 heures de pêche quotidiennement, c’est pourquoi, chaque jour compte. Il s’y ajoute que la FAO l’a démontré, les petits pélagiques côtiers qui constituent 72% des ressources halieutiques du Sénégal sont surexploités et partant, l’effort de pêche doit être réduit de 50%, au moins, pour les sardinelles. De tout ce qui précède, il apparaît que :
- le protocole signé par le MEM est une compilation de violations du code de la pêche, d’incongruités, d’imprécisions (la durée effective du protocole est imprécise), de jeux de manches et de déclamations inapplicables ;
- ce qui est le plus à déplorer est que l’Etat a été floué, ce qui ne peut surprendre, quand on sait que dans l’opération en cours, les intérêts financiers ont plus préoccupés que la sauvegarde des ressources halieutiques sénégalaises, celle des intérêts de tous ceux qui ne vivent que de la pêche, ainsi que les avis de la recherche qui, il faut le regretter, ont été ignorés. Quel gâchis !!!
La conférence de presse tenue à l’hôtel Téranga ce 15 avril 2011, sa couverture par la presse, la mobilisation et les interventions des participants prouvent que les acteurs de la pêche sont conscients de leurs intérêts et qu’ils ne doivent compter sur personne pour les défendre à leur place.
Dr Sogui DIOUF
Vétérinaire
d.sogui@yahoo.fr
Pourquoi Cheikh Tidiane Sy doit démissionner
Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Cheikh Tidiane Sy, a réveillé tous les Sénégalais le vendredi 18 mars 2011 vers minuit, pour annoncer une tentative de coup d’Etat initiée par les jeunes de Benno Siggil Sénégal et des fan’s de Wal Fadjri, à quelques heures de la célébration de l’anniversaire du 19 mars, date symbolique pour notre jeune démocratie. Une analyse de la déclaration dudit ministre démontre nettement un mépris souverain du droit et une absence de logique évidente, comme nous allons apporter la démonstration ci-après.
L’originalité du droit pénal réside, sans nul doute, dans son caractère répressif basé essentiel sur la notion d’infraction qui signifie un comportement qui transgresse la norme pénale. Ainsi, du fait du caractère particulièrement dangereux de la sanction pénale, tous les juristes sont unanimes à considérer que le droit pénal est le droit de la certitude et de l’évidence. C’est pourquoi, en cas de doute, le juge est même tenu de relaxer la personne poursuivie. Cela dit, le ministre Cheikh Tidiane Sy, porte-étendard de notre institution judiciaire, devrait, avant d’accuser les jeunes de Benno de fomenter un coup d’Etat, avoir au moins la certitude de ses allégations, constituée par des actes matériels ou par un commencement d’exécution. Cette exigence était d’autant plus nécessaire que les accusations formulées sont graves et sévèrement réprimées par le Code pénal sénégalais.
En effet, ‘l’atteinte à la sécurité’ (article 80 du Code pénal), la conspiration, le complot (article 72), l’incitation à la guerre civile (article 79), l’atteinte aux institutions, la manœuvre de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves (article 80) sont punies respectivement des peines de trois à cinq ans et d’une amende de 100 000 francs à 1 500 000 francs, des travaux forcés à perpétuité et de la mort. Les infractions sus-visées sont qualifiées d’infractions politiques parce qu’elles portent atteinte à un intérêt de nature politique ou constitutionnelle. En outre, un coup d’Etat signifie un renversement du pouvoir. Il va de soi qu’un tel acte nécessite l’intervention de l’armée, de la police, de la gendarmerie, ainsi qu’un dispositif précis de prise des bâtiments publics, télévision nationale, etc.
Chose bizarre, le communiqué de Cheikh Tidiane Sy parle en l’espèce de ‘brûler des pneus’. Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous rappeler qu’un coup d’Etat ne se fait pas par des pneus, mais des armes. Votre communiqué laconique permet de dire que vous n’avez pas agi en bon père de famille, c’est-à-dire un homme prudent, diligent et avisé.
Il est heureux de saluer l’attitude du procureur de la République près le tribunal régional hors classe de Dakar et des autorités judiciaires de ce pays de leur diligence et professionnalisme dans cette affaire, qui sont conscients que le droit pénal est le droit de la certitude. Par conséquent, on ne peut mettre en mouvement l’action publique aveuglement. Car la liberté des citoyens est un droit fondamental que nul ne doit porter atteinte sans preuve.
Tout porte à croire que Cheikh Tidiane Sy a oublié sa casquette de ministre de la République pour porter celle d’un homme politique partisan usant de la machine étatique pour neutraliser des adversaires politiques gênants. Non ! Monsieur le Ministre, l’Etat n’est pas le parti. Non ! Monsieur le Ministre, nous ne sommes pas au Zaïre de Mobutu. Non ! Monsieur le Ministre, nous ne sommes plus au temps de l’ancien régime en France, caractérisé par l’arbitraire dans l’incrimination et dans la sanction. Non ! Monsieur le Ministre, la théorie de la justice retenue est révolue depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
Aujourd’hui, Monsieur le Ministre, vous êtes devenu la risée du monde entier, votre propre gouvernement vous a contredit. Monsieur le Ministre, je vous demande de lire l’histoire de l’Egypte pharaonique, car vous y découvrirez que le pharaon avait le droit de vie et de mort sur tous ses sujets, mais il se gardait de l’utiliser arbitrairement, en accusant par exemple à tort ses sujets de complot ou coup d’Etat.
Monsieur le Ministre, votre accusation heurte même un esprit cartésien, car comment voulez-vous nous faire comprendre que des jeunes étudiants puissent fomenter un coup d’Etat ou des fans du groupe Wal Fadjri dont on nous dit que l’un est un tailleur et l’autre un vendeur de portable. Monsieur le Ministre, vous avez causé un dommage moral aux familles des accusés. Or, l’article 1382 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel, il est arrivé, à le réparer. Monsieur Cheikh Tidiane Sy, vous avez l’obligation morale de présenter des excuses à ces jeunes et à tout le peuple sénégalais. Monsieur le Ministre, votre gouvernement a l’habitude de porter des accusations sur d’honnêtes citoyens sans fondements et qui se terminent souvent par un non-lieu : Idrissa Seck, Macky Sall, Abdoulaye Sally Sall, pour ne citer que cela.
Enfin, Monsieur le Ministre, je vous demande sincèrement de vous inspirer de l’exemple du ministre allemand de la Défense, Karl-Theodore zu Guttenberg qui a quitté toutes ses fonctions politiques puisqu’il est accusé d’avoir usurpé simplement son titre de Docteur de l’Université de Bayreuth. Un juriste a, en effet, démontré que les deux tiers de sa thèse de droit public présentée en 2006 étaient constitués d’’emprunts’ à d’autres travaux auxquels l’auteur ne faisait pourtant aucunement référence. Fort de cette accusation, le ministre a rendu le tablier en tant que démocrate.
Monsieur le Ministre, après votre grosse bourde du vendredi 18 mars 2011, vous devez suivre l’exemple du ministre allemand de la Défense, en démissionnant. La démocratie sénégalaise en sortira grandie. Que Dieu bénisse notre cher Sénégal.
Ibrahima MAIGA
Pourquoi Me Wade ne doit pas briguer un troisième mandat
A quelques encablures de la prochaine élection présidentielle, le débat sur la légalité de la candidature de maître Wade pour un troisième mandat se pose avec acuité. Deux thèses s’opposent. D’aucuns, parmi lesquels le président de la République au lendemain de sa réélection en 2007 avant qu’il ne se dédise finalement, soutiennent l’impossibilité au regard de la Constitution actuelle de solliciter un nouveau mandat. Un tel point de vue est battu en brèche par ceux qui, arguant de la non-rétroactivité de la disposition de la Loi fondamentale limitant le mandat présidentiel, soutiennent le contraire. Ces différences d’interprétation sont de nature à dérouter les profanes du droit d’autant que ce qui est clair, en principe, ne s’interprète pas. Pour notre part, conscient que les constitutionalistes sont mieux outillés pour mener ce débat juridique, nous avons choisi de nous situer sur le terrain de l’opportunité. De ce point de vue, plusieurs arguments sont opposables à la candidature de maître Wade.
En premier, il est judicieux de considérer les raisons pour lesquelles la Constitution du Sénégal a opté pour la limitation du mandat présidentiel à 5 ans renouvelable une seule fois. Indépendamment du fait que c’est là un des éléments caractéristiques des démocraties majeures, à l’image des Etats-Unis (mandat de 4 ans renouvelable une fois) et de la France par exemple, une telle option vaut son pesant d’or. Elle postule, d’une part, que dix (10) ans constituent une durée suffisante pour permettre au Président élu de réaliser son projet de société, que d’autre part un tel système contribue au renouvellement du personnel dirigeant qui favorise l’émulation sans laquelle l’essor économique et social n’est pas envisageable et, qu’enfin, un trop long exercice du pouvoir ne peut que s’avérer néfaste comme le montre à suffisance l’histoire.
A partir du moment où le Sénégal se targue d’être, si ce n’est l’unique, du moins une des vitrines de la démocratie sur le continent africain, il ne pouvait faire l’économie d’une telle approche. Ceci, d’autant que le Président Wade lui-même était considéré, à l’époque où il était dans l’opposition, comme un acteur majeur du combat pour l’avènement d’un vrai système démocratique. Son arrivée au pouvoir, en rapport avec l’idéal démocratique dont il se réclame, devait se traduire par un renforcement de la démocratie sénégalaise. A la veille de la prochaine élection, maître Wade aura totalisé à la tête du pays douze ans, c’est à dire deux de plus que la durée maximale fixée par la Constitution de janvier 2001 actuellement en vigueur. Le débat actuel sur la recevabilité de sa candidature représente pour lui une bonne opportunité de convaincre définitivement ceux qui considèrent qu’il n’est démocrate que de nom. Il y parviendrait en se focalisant sur l’esprit de la limitation du mandat présidentiel à dix ans maximum, et à en tirer la conséquence de ne pas se représenter même si, par extraordinaire, juridiquement il lui serait possible de briguer un troisième mandat.
La volonté de maître Wade de se représenter résulte peut-être de la conviction d’avoir sacrifié une bonne partie de son existence au combat pour l’alternance politique, justifiant l’exercice du pouvoir pendant une période «suffisamment proportionnelle». Ce serait une erreur d’appréciation lorsque l’on sait que la valeur d’un magistère tient moins à sa durée qu’à sa qualité. Nul ne doute des sacrifices consentis par Nelson Mandela, avec 27 années de sa vie passées en prison, pour l’avènement d’une société pluraliste en Afrique du Sud. Elu président de la République, il aurait pu ambitionner de s’éterniser au pouvoir. Ce qui aurait été, du reste, tout à fait compréhensible. En grand homme, il a su partir à l’issue d’un seul mandat alors qu’il était quasiment sûr d’être réélu, conscient d’avoir rempli sa mission. Maître Wade devrait s’inspirer d’un tel exemple.
Cela est d’autant plus opportun, et c’est le deuxième argument, que même s’il pouvait se targuer d’un bilan reluisant tant au plan économique, politique que social, il reste qu’en raison de son âge avancé, maître Wade devrait épargner au Sénégal une démarche susceptible d’être périlleuse. Seul Dieu sait de quoi demain sera fait. Mais, ne perdons pas de vue que la volonté du Président Houphouët Boigny de se maintenir au pouvoir et de ne point laisser aux Ivoiriens la latitude, alors qu’il était temps, de lui choisir un successeur, est pour beaucoup dans la crise politique intervenue en Côte d’Ivoire. Sans douter de la santé de maître Wade, est-il tout de même raisonnable de briguer, à 86 ans officiellement, un nouveau mandat A cet âge-là, ne devrait-il pas jouir d’une retraite méritée Excepté le Zimbabwé, qui ne peut nullement être regardé comme une démocratie, aucun autre pays africain n’est dirigé par un chef d’Etat aussi âgé. Récemment à Cuba, sous le poids des ans Fidel Castro s’est déchargé de toute fonction officielle. Pourquoi le Sénégal devrait-il échapper à la règle qui n’est certainement pas le fruit du hasard mais bien le résultat de considérations objectives Il est scientifiquement prouvé qu’avec le vieillissement, bien de nos facultés, capacités physiques et intellectuelles s’amenuisent. C’est l’implacable loi de la nature. Ce n’est point fortuit, si en même temps qu’ils fixent l’âge minimum d’accession à la Magistrature suprême, bon nombre de constitutions (Madagascar par exemple) déterminent, par la même occasion, un âge maximum.
L’argument qui repose sur la conviction mille fois affirmée, de la non-identification d’un Sénégalais capable de prendre le relais n’est point recevable. Une telle logique peut éventuellement prospérer dans un cercle familial voire clanique, mais difficilement à l’échelle du pays. Dans une véritable démocratie, le pouvoir appartient au peuple et il revient à ce dernier, et rien qu’à ce dernier, le choix de celui qui doit présider à sa destinée. N’est-ce pas d’ailleurs là, la raison pour laquelle le Président Wade, alors opposant, avait fustigé à l’époque, à juste titre, la succession par voie constitutionnelle du Président Senghor par son Premier ministre
Il n’est guère acceptable qu’un individu quels que soient par ailleurs son statut, son génie réel ou supposé, son expérience, ses diplômes, puisse en imposer au peuple. Une telle attitude serait «attentatoire» à la démocratie. Il est vrai qu’il n’est point facile, lorsque l’on est entouré d’une cour de thuriféraires soucieuse uniquement de ses intérêts matériels et prompte à vous soutenir dans votre conviction que vous êtes le «messie», d’entendre la voix de la raison et de la sagesse. Croire à ces courtisans ne serait rien moins que de manquer de lucidité et de respect au peuple. Ne sommes-nous pas 12 millions de Sénégalais Si maître Wade est vraiment indispensable qu’adviendra-il du pays le jour où, pour une raison ou une autre, il ne serait plus en mesure d’en assurer la direction Le Sénégal a survécu à ses prédécesseurs et nous survivra. Pendant qu’il est temps, il convient de se ressaisir pour la postérité.
Adrien DIOH - Enseignant-chercheur Université Gaston Berger Saint-Louis