Mauvais présage pour le Sénégal
Mauvais présage pour le Sénégal
Dans le discours sur la première décade de ‘Tite-Live’ Machiavel, après avoir rappelé que ‘toutes les choses de ce monde ont un terme à leur existence’, indique que la République échappe à cette règle, parce qu’elle trouve dans ses propres lois de quoi se rénover d’où l’importance d’élections sincères et transparentes organisées périodiquement. A l’époque où le seigneur était l’élément fédérateur dans la république, les Médicis, qui ont régné à Florence de 1434 à 1494, avaient compris cette nécessité et pour cause, le seigneur répétait tous les cinq ans les scènes de terreur et de violences qui lui avaient permis de s’emparer du pouvoir. Mais dans l’Etat républicain et démocratique, c’est la Constitution qui est l’élément fédérateur. C’est le pacte par lequel une nation manifeste sa souveraineté en définissant librement les modalités de dévolution et d’exercice du pouvoir politique.
Dès lors, il est compréhensible qu’une divergence dans l’interprétation de dispositions constitutionnelles aussi substantielles que les articles 27 et 104 de la Constitution de 2001 puisse être constitutive de prodromes de troubles graves. Pour une question de clarté, il convient de rappeler ce que recouvrent les articles dont l’interprétation suscite une controverse nourrie.
Art 27 : ‘La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois’.
Art 104 : ‘Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables’.
Il faut préciser qu’en 2000, le président Wade a été élu pour sept ans. Interprétant les dispositions que voilà, les uns soutiennent que la réélection en 2007 du président, qui était en fonction depuis 2000 pour un mandat de sept ans, ne peut pas être considérée comme un renouvellement au sens de l’article 27 de la Constitution de 2001. Par contre, les autres estiment que la réélection du président Wade en 2007 tombe sous l’empire de l’article 27 de la Constitution de 2001, parce que le législateur en utilisant à l’alinéa 2 de l’article 104, le déterminant ‘Toutes’ qui s’adresse à une totalité, n’entendait laisser la Constitution de 2001 souffrir d’aucune exception, si ce ne fut la durée de sept ans du mandat qui était en cours. Donc tous les actes survenus ultérieurement à la promulgation de cette Constitution tombent sous son empire.
Depuis que cette controverse est née, l’on eût dit qu’un vent mu par une fureur iconoclastique souffle sur le Sénégal. Il est devenu incontestable qu’aujourd’hui, il règne dans le pays une atmosphère lourde des stimuli d’une crise aux conséquences imprévisibles. Il peut d’ores et déjà être observé que les passions s’avivent au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Or, la passion étant le garrot de la raison, lorsqu’elle se déchaîne dans une société croire que la prison peut produire un effet inhibiteur serait une erreur, puisque même en temps normal, des études (en pénologie et en criminologie) ont conclu que la prison n’a plus l’effet intimidant qu’on lui prêtait. En tout cas, si l’on y prend garde, il est à redouter que la calamité qui s’était abattue sur la Côte d’Ivoire et ailleurs, vienne frapper notre pays. Ceci n’est pas pure affabulation, car même si l’histoire ne se répète pas constamment, il convient de rappeler que selon Aristote, ‘il peut exister des proximités repérables’ pouvant faire craindre une issue similaire, entre des situations ayant existé à des moments différents.
Toutefois, il est vrai que dans les pays où des drames se sont déroulés récemment, les autorités politiques avaient tardé à comprendre que le temps était passé où d’après Gordon Di Renzo, l’homme politique croyait devoir conquérir le pouvoir par n’importe quel moyen. En effet, il est fort probable que les tenants du pouvoir dans les pays concernés ne s’étaient pas rendus compte, que si dans le monde, les thèmes des critiques dans les années 60 et 70 s’adressaient à la domination coloniale et à l’exploitation des peuples ; à partir des années 80, les thèmes des critiques portent sur la justice, les droits des peuples, la morale, et ceci a fini par réveiller dans l’opinion internationale une forte répulsion pour tout ce qui s’apparente à l’oppression et à la tyrannie. Cette évolution de l’opinion internationale a permis à l’Onu et à la Cour pénale internationale de mettre en œuvre dans certains pays et sous des formes déguisées le concept ‘d’ingérence humanitaire’ naguère proposé par Bernard Kouchner (Balkans, Kenya, Côte d’ivoire etc.)
Par ailleurs, l’irréparable a été commis par les autorités de ces pays, à partir du moment où elles avaient préféré la répression brutale à la concertation, alors que pour Spinoza, ‘dans l’Etat, les conflits doivent être résolus, il est illusoire d’essayer de les éradiquer’, d’autant plus que selon Kant ‘les opinions se nourrissent de l’acharnement qu’on déploie à vouloir les combattre’. Mais, l’attitude de ces autorités pourrait s’expliquer par le fait qu’ayant toujours agi ‘par droit de nature’ à l’égard de leur peuple, c'est-à-dire toujours faire comme si rien n’est injuste, tout est permis, elles ne pouvaient pas s’apercevoir qu’après de longues années d’assujettissement et de servitude, leurs populations en étaient arrivées à constater qu’au lieu d’œuvrer à leur émancipation, ces autorités s’employaient à river les chaînes qui les avaient maintenues durant des siècles en deçà de la citoyenneté.
Et, puisque ce sont ces populations qui les avaient librement élues, elles pouvaient entrer dans une résistance irréductible, surtout s’il leur venait à l’idée qu’elles avaient été abusées et, que par ruse, elles avaient été amenées à courir avec enthousiasme ‘au-devant de leur fers, croyant assurer leur liberté’ (Rousseau). En tout état de cause, l’actualité observée ici et là montre que ce que J.P Sartre appelle ‘la conscience de soi’ est devenue une réalité au niveau de toutes les populations et, que par conséquent, les autorités politiques doivent savoir qu’elles ont désormais des citoyens et non ‘des personnes déterminables prêtes à obéir’ au sens où l’entend Weber (les catégories de la sociologie).
A tout prendre, ce qui précède commande que nous précisions qu’il ne s’agit ni de susciter ni d’exalter l’anarchie. Après avoir établi un constat, notre démarche a consisté à montrer combien le général De Gaulle avait raison de rappeler que ‘du jour où la noblesse française consacra son ardeur à défendre ses privilèges plutôt qu’à conduire l’Etat, la victoire du Tiers Etat était d’avance certaine’ (le fil de l’Epée). Pour conclure cette partie de notre exposé, nous aurions pu paraphraser Rousseau et dire qu’ ‘un peuple libre obéit, mais ne sert pas…, il obéit aux lois mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes’.
Cependant, les cas qui sont exposés ci-dessus cachent une énigme que nous ne saurons éclairer avec certitude. En effet, nous ne pouvons pas affirmer que les chefs d’Etat concernés avaient délibérément fait la sourde oreille aux propos de leurs conseillers juridiques, qui auraient porté à leur ‘haute attention’ que si du temps de Pierre Corneille les crimes perpétrés par ou pour le Roi étaient absous, dans l’Etat moderne, pratiquer ou susciter des violences pour perpétuer un pouvoir est constitutif d’un double crime :
- Un crime politique pouvant être qualifié de ‘haute trahison’ parce qu’il y a viol du serment solennel fait au peuple lors de l’investiture.
- Un crime de droit commun, parce qu’en invoquant la théorie de la provocation en droit pénal, il peut être victorieusement soutenu qu’à cause de la position occupée sur l’échelle sociale, les propos et les discours ont eu un effet déterminant sur l’esprit des populations.
Dès lors, le crime de ‘provocation aux violences collectives’ peut être retenu. Or, une telle incrimination peut dans certains cas provoquer l’irruption de la Cour pénale internationale par le biais des articles 17 à 19 du statut de la Cpi. Mais après tout, peut-être que la libido dominendi exacerbée de ces chefs d’Etat n’a jamais été contrariée par des conseils de cette nature, tant l’expérience semble montrer que depuis la survenue des indépendances, beaucoup de chefs d’Etat refusent de se faire à l’idée qu’ ‘à notre époque, il n’y a pas de salut en dehors de la démocratie légitime, de la délégation du pouvoir par le peuple’ (G. Ferrero).
S’agissant des tendances réactionnelles notées çà et là dans notre pays, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, il est rassurant de savoir que le peuple sénégalais n’est pas facilement inflammable, et qu’il ne sort pas des bornes à la moindre impulsion. Mais, il faut reconnaître que des nuages ne cessent de s’accumuler dans le ciel sénégalais, justifiant le fait qu’aujourd’hui il n’y a de certitude nulle part. Partout, ‘l’attente inquiète’, qui avait gagné les populations se transforme peu à peu en une peur instinctive au fur et à mesure que l’année 2012 approche. Cet état psychosocial dans lequel se trouvent les populations s’explique par la tendance effrénée à constituer des milices, à proférer des menaces, à organiser des opérations d’intimidation par des groupes appuyés par des chiens. Il y a aussi, la manifestation excessive d’un intentionnaliste malveillant se traduisant par un discours qui :
- soit avive la suspicion tant il rappelle les propos de Cicéron s’adressant au sénat pour susciter l’opposition contre Lucius Catilina : ‘Il ne s’agit pas de savoir si notre vie est morale ou immorale, ni où est la grandeur de l’empire romain ! Il s’agit de savoir si tous ces biens, quelque opinion qu’on en ait, resteront à nous ou tomberont au pouvoir de nos adversaires’.
- soit par une entreprise de destruction menée avec une pugnacité et une hargne qui rappellent l’insecte perçant une poutre. Tout cela fait croire que le pays s’apprête à devenir un champ de bataille de rats, laquelle ne cesse que faute de combattants.
Il y a aussi la constitution de milices qui est loin d’être un danger moindre. Il s’agit de groupes dont l’organisation et la formation présentent le caractère du groupe de combat. Les milices privées se définissent comme des groupes fortement entraînés, pouvant se rassembler rapidement et intervenir avec force dans des manifestations ou à l’occasion de troubles politiques ou sociaux. La doctrine estime que ces groupes peuvent être le prélude de mouvements insurrectionnels, d’où leur dangerosité dans l’Etat.
Au vu de la situation ainsi décrite, il pourrait être considéré comme superflu le fait de dire qu’il y a bien lieu pour tous les Sénégalais de s’inquiéter au plus haut point. Car, nonobstant le caractère pacifique de notre peuple, il faut tenir compte des travaux du savant belge De Greeff, dont les conclusions nous apprennent qu’ ’il existe chez l’homme des mécanismes aveugles, qui tendent à le diriger d’une manière réflexe sous l’influence des instincts de défense’. Dès lors, nous pouvons dire qu’en cas d’agression physique ou morale, tout être humain peut tomber sous l’influence de ces mécanismes obscurs, et faire ce qu’il répugne le plus en temps ordinaire : tuer, dévaster etc. Cette thèse a été confortée par Monseigneur Emmanuel Lafond qui a pu dire, sur les ondes de Rfi, à la suite des observations faites à Soweto où il fut évêque qu’ : ‘A un certain niveau, tous les êtres humains ont le même courage, la même haine, la même lâcheté’.
Au total, la situation décrite supra montre que l’intérêt supérieur de la Nation nécessite qu’un glissement vers l’irréparable soit évité. Et puisque, selon Alain, ‘la capacité d’ouverture et d’action du chef de l’Etat, constitue dans la République le ferment d’une évolution positive’, la nature de la tournure que prendra ladite situation dépendra essentiellement du président Wade. En tout cas, nous pensons que ceux qui ont lutté pendant de longues années aux côtés du secrétaire général du Pds souhaiteraient voir le président Wade agir à l’image du soleil de Balthazar Gracian, en se disant comme lui qu’ ‘il faut laisser les choses avant qu’elles ne vous laissent. Il est d’un homme sage de savoir se faire un triomphe ( de sa propre fin) à l’imitation du soleil qui, pendant qu’il est encore tout lumineux, a coutume de se retirer, pour n’être point vu baisser et, par ce moyen, laisser en doute s’il est couché ou non’. En termes clairs, laisser à l’Histoire et à la postérité le doute de savoir s’il allait sortir vainqueur ou non des élections de février 2012, s’il y avait pris part.
Souleymane NDIAYE Officier à la retraite Docteur en Droit et Sciences criminelles 3éme Cycle études politiques.
L’impunité est un cancer qui gangrène notre continent
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier très sincèrement pour l’insigne honneur que vous me faites en me décernant ce prix «Right LivelihoodAward». Cette distinction m’honore particulièrement et au-delà, récompense tous les défenseurs des droits humains dans le monde, et en Afrique en particulier.
Soyez assurés que c’est un signe très encourageant pour nous, les défenseurs des droits humains, et surtout pour nous, les femmes qui nous battons au quotidien dans des conditions très difficiles, parfois même au péril de nos vies, dans un monde où le pouvoir se conjugue au masculin. Ce prix nous donne le courage de continuer nos divers combats sur un chemin semé d’embuches.
Défendre les victimes est dans mes gènes. Je suis une révoltée, une indignée de la première heure et je ne supporte pas l’injustice. Ce sentiment a toujours été présent en moi et le restera tant que ceux qui souffrent de l’injustice seront ignorés de leurs dirigeants et tant que la Justice sera sélective. Beaucoup ont essayé de m’empêcher de travailler, beaucoup ont essayé de m’intimider, de me menacer psychologiquement et physiquement. Mais moi j’ai compris, comme le disait Alexis Voinov dans Les justes de Albert Camus, «qu’il ne suffit pas de dénoncer l’injustice. Il faut donner sa vie pour la combattre». Or, jusqu’à présent, aucun n’a réussi à me décourager, personne n’a eu raison de moi. Et je continuerai mon combat.
Mesdames et Messieurs,
Je vais profiter de cette occasion pour vous entretenir sur l’un des aspects de notre engagement pour les droits humains : la lutte contre l’impunité.
Il est indéniable que, depuis vingt ans, la communauté internationale a donné un élan remarquable à la lutte contre l’impunité des grands criminels. Mais en Afrique, il reste beaucoup à faire. Dans ce continent, l’impunité est un cancer qui, avec son corollaire la corruption, gangrène notre continent et nous empêche d’exprimer notre véritable potentiel. Nous, membres de la société civile, luttons pour endiguer ce cancer, de Tunis à Harare, de Dakar à Khartoum, en passant par Abidjan, Tripoli et Ndjaména.
Pourtant, cette justice dont je vous parle n’est pas une science en devenir. Ce n’est pas une utopie. C’est la plus fondamentale des justices : la justice pénale, celle qui permet aux victimes de se laver des pires horreurs, celle qui rend aux hommes torturés leur dignité, et aux femmes abattues leur vaillance.
Il suffit de regarder notre lutte pour traduire en justice l’ancien dictateur de mon pays, Hissène Habré, pour comprendre qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, plus de soixante ans après le procès de Nuremberg, il est encore parfois plus aisé d’opprimer que de contenir, d’exercer un acte de violence qu’un acte de justice !
Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 jusqu’à son renversement et son exil au Sénégal. Durant son règne, des atrocités ont été commises à grande échelle, des vagues d’épuration ont terrassé les groupes ethniques, et la torture a été institutionnalisée. En 1992, une Commission d’Enquête nationale a estimé que son régime était responsable de la mort de plus de 40 000 personnes et de la disparition de milliers d’individus, laissant seuls d’innombrables veuves et orphelins.
Les victimes du régime de Habré, que je défends, bataillent sans relâche depuis vingt-et-un ans pour que justice leur soit rendue. Mais jusqu’à présent, leur lutte reste inachevée. Avant de quitter le pouvoir, Hissène Habré a vidé le Trésor national du Tchad et a dépensé cet argent au Sénégal à bon escient, où il est parvenu à se tisser un puissant réseau de protection. Et c’est ainsi qu’au lieu de voir leur cause entendue, le Sénégal et l’Union africaine ont soumis ces victimes à ce que l’archevêque Desmond Tutu et 117 associations de vingt-cinq pays d’Afrique ont dénoncé, à juste titre, comme un «interminable feuilleton politico-judiciaire». Je dirais même plus : un véritable chemin de croix pour les victimes.
- En janvier 2000, nous avons porté plainte contre Hissène Habré au Sénégal où il vit. Un mois plus tard, la décision d’un juge sénégalais d’inculper Habré avait suscité en nous un réel espoir.
- Mais, suite à des immixtions politiques dénoncées par les Nations unies, les tribunaux sénégalais se sont déclarés incompétents.
- Les victimes se sont alors tournées vers la Belgique qui leur ouvrit une porte vers la Justice. Après quatre ans d’enquête, un juge belge a lancé un mandat d’arrêt international contre Habré en 2005. Les victimes ont senti à nouveau un réel espoir de voir Hissène Habré traduit en justice pour ses crimes présumés.
- Mais encore une fois, les victimes ont été déçues, car le Sénégal a refusé d’extrader Habré vers la Belgique.
- En mai 2006, le Comité des Nations unies contre la torture a condamné le Sénégal pour son immobilisme, et lui a demandé de poursuivre ou d’extrader l’ancien dictateur tchadien.
- En juillet 2006, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine ont donné mandat au Sénégal pour qu’il juge Habré «au nom de l’Afrique». Ce fut un nouveau pas en avant.
- Mais ce nouvel espoir de voir Habré jugé a été éphémère. Pendant quatre ans, le Sénégal a conditionné le début des enquêtes au versement par la communauté internationale de l’intégralité des fonds nécessaires pour le procès. Quand la communauté internationale s’est engagée à faire le versement, le Président Abdoulaye Wade du Sénégal a soudainement refusé d’exécuter le mandat de l’Union africaine et, en juin 2011, a finalement déclaré que le Sénégal ne jugerait pas Hissène Habré.
- Depuis, la Belgique, que je tiens à remercier au nom de toutes les victimes, a réitéré sa demande d’extradition.
- Mais maintenant, l’Union africaine nous parle d’envoyer Habré au Rwanda et de tout recommencer. Quelle ignominie ! Quelle perte de temps, alors même que les victimes survivantes s’éteignent les unes après les autres ! Plus d’une dizaine de victimes nous ont quittés rien que cette année. Un transfert au Rwanda entraînerait encore de nombreuses années d’attente, le temps que ce pays se dote des législations adéquates, mène l’enquête, et demande l’extradition de Habré tandis qu’un jugement en Belgique pourrait s’organiser rapidement.
Il s’agit-là d’une nouvelle manœuvre dilatoire de l’Union africaine, institution dont l’engagement contre l’impunité est remis en cause. Mis à part quelques exceptions, les dirigeants africains, qui disent vouloir s’affranchir de la tutelle des tribunaux internationaux et des demandes d’extradition de pays occidentaux, ont montré qu’ils ne formaient qu’un syndicat de chefs d’Etat veillant à leur propre impunité.
Il est maintenant temps que le Sénégal accorde aux victimes la justice qu’elles réclament en extradant Habré en Belgique pour qu’il y soit jugé. Les victimes ne peuvent plus attendre. Psychologiquement et physiquement, elles ont subi de très lourds traumatismes qui altèrent leur lucidité au fil des ans.
Le gouvernement du Tchad, lui-même, en juillet dernier, a demandé, et je cite, que soit «privilégiée l’option de l’extradition de Habré vers la Belgique pour y être jugé». Pourquoi le Président Wade nous refuse-t-il la justice ? Pourquoi l’Union africaine ne se montre-t-elle pas à l’écoute des victimes ? Pourquoi le Sénégal et l’Union africaine ne soutiennent pas la position du Tchad, pays le plus intéressé dans cette affaire, de voir Habré traduit en justice en Belgique ?
Je profite de cette occasion aujourd’hui pour porter le cri des victimes et pour appeler le Sénégal à extrader Habré en Belgique pour qu’enfin, les victimes obtiennent justice.
Seulement, il ne s’agit pas de juger un seul homme, mais un des régimes les plus tyranniques du siècle dernier, certes identifié en la personne de Habré. Aussi, nous n’avons pas oublié les complices de Habré, ces bourreaux qui ont exécuté les ordres de l’ancien dictateur. Ces ex-agents de la terrible Police politique de Habré, connue sous le nom de la «Direction de la Documentation et de la Sécurité», doivent eux aussi répondre des crimes commis devant les juridictions tchadiennes et être renvoyés de la Fonction publique. Ceci était déjà une des plus grandes recommandations de la Commission d’Enquête nationale en 1992.
Certains bourreaux continuent de nous hanter en nous narguant et en nous menaçant dans notre vie quotidienne. Mais nous ne laisserons pas tomber ce combat. J’ai moi-même été visée en 2001 pour mes actions dans l’affaire Habré. Lors d’une marche pacifique en faveur de la démocratie, un détachement de la Police a tenté de m’assassiner avec une grenade. Son commandant n’était autre qu’un ancien tortionnaire contre qui les victimes avaient lancé une procédure judiciaire au Tchad.
Cet événement témoigne des vertus pédagogiques d’un procès : comment cet ancien tortionnaire peut-il encore croire que l’arme du dictateur est plus forte que le marteau du juge ? Malgré cette tentative d’assassinat, je ne me suis jamais relâchée et je continuerai mes efforts jusqu’à ce que Habré et les autres bourreaux soient jugés.
Mesdames et Messieurs,
L’enjeu du combat que nous menons, au-delà du jugement d’un individu, est celui de l’union nationale pour une paix durable dans mon pays. Aujourd’hui, le jugement de Hissène Habré et de ses complices permettrait au peuple tchadien d’entamer, enfin, la reconstruction de leur Nation. Et c’est seulement à l’issue de ce processus que le peuple tchadien pourra renforcer sa cohésion nationale et connaître une renaissance.
Si face à l’impunité des grands dirigeants la justice n’a été pendant longtemps qu’une chimère, ce prix dont vous m’honorez aujourd’hui est un hommage à des milliers de victimes, veuves et orphelins.
Et c’est à ces personnes que je dédie ce prix. Nous ne baisserons pas les bras et cette récompense nous donne raison et nous encourage à continuer davantage notre lutte contre l’impunité.
*Avocate des victimes de l’ancien dictateur Hissène Habré depuis 2000, Me Jacqueline Moudeina a reçu le 5 décembre 2011, le Right LivelihoodAward 2011 considéré comme le «Prix Nobel alternatif». C’est à cette occasion qu’elle a fait ce texte qui constituait son discours.
Par Jacqueline Moudeina* - Présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (Atpdh)
Candidature de Bennoo : D’une erreur d’aiguillage à la démocratie dévoyée
Il était connu depuis le départ que la problématique de la candidature unique au sein de Bennoo conduirait vers une impasse, terme plus poli pour désigner un clash. Tous les experts en voyance politique et de simples observateurs, témoins du passé récent, savaient que ni l’un ni l’autre ne se désisterait pour faciliter la désignation d’un candidat unique non pas en raison d’une soi-disant inimitié qui caractériserait leurs relations, mais du fait que chacun des protagonistes se sent investi d’un mandat, d’une mission historique et souveraine.
Ceci était connu depuis le départ et il est navrant de constater aujourd’hui que cette réalité a été complètement étouffée, certainement à dessein ou par excès d’optimisme. En réalité, je crois plus à la première hypothèse et les faits le démontrent.
En effet, il est étonnant de voir les gens de Bennoo, une équipe experte, aguerrie à la pratique politique, définir des règles de désignation aussi iniques conférant des droits absolus aux partis minoritaires et à ceux de la 25e heure, au même titre que les formations qui ont donné à l’organisation ses lettres de noblesse.
S’il est vrai que la démocratie est la loi des nombres, il est aussi vrai qu’elle n’est pas aussi arithmétique qu’on voudrait nous le faire croire. Elle est souvent une combinaison intégrant une ou des variables pour la parfaire, pour aller vers l’équité. Dans le cas de Bennoo, il est regrettable que la représentativité des uns et des autres n’ait pas été prise en compte.
Bennoo pouvait éviter cette grande déception qu’elle vient causer chez ses sympathisants, parce que sachant mieux que quiconque les contradictions qui minent sa coalition. Déjà, des formations en son sein se sont vite démarquées de la démarche consistant à désigner un candidat unique tout en restant dans la coalition, l’obligeant même à opérer à un glissement sémantique. Déjà, toutes les prémisses étaient perceptibles et dès lors, la réflexion devait tourner autour des conditions permettant de garder sa cohésion.
En ce sens, nous aurions aimé que l’énergie qui a été déployée pour arriver à un désaccord fût utilisée pour chercher à asseoir les règles garantissant une élection à 2 tours.
En quoi faisant ?
S’il est vrai que l’esprit des Assises nationales est de traduire l’expression de la volonté du peuple et de conférer une légitimité à tout exercice du pouvoir, il urgeait pour Bennoo d’exiger ici et maintenant le rétablissement du quart bloquant tel qu’il existait dans l’article 33 de la Constitution sénégalaise qui disposait «que nul ne peut être élu à l’issue de premier tour de la Présidentielle, s’il n’a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins le quart des électeurs inscrits».
L’occasion lui était pourtant offerte !
Cette disposition est la seule qui peut garantir une élection à 2 tours et dès lors, il serait loisible d’aller aux élections dans une pluralité parfaite, le 1er tour servant de Primaires.
A défaut, Bennoo est aujourd’hui obligé d’aller à la conquête du pouvoir en ordre dispersé sans avoir la garantie d’une élection à 2 tours.
Quel gâchis !!!
amathguissé@yahoo.fr
Misère de l’offre politique ou politique de misère
Un quart de siècle après l’Indépendance, la situation du pays n’a jamais été aussi alarmante sur tous les plans : économique, social, culturel etc. Mais surtout au plan de l’offre politique pour diriger ce pays, qui en fait, détermine tous les autres domaines de notre destin commun.
Des pères de l’Indépendance à nos jours, la direction de ce pays a été confisquée par une élite façonnée par le colonisateur pour sauvegarder ses principaux intérêts et reproduire jusqu’à la caricature sa façon de penser et d’être.
En effet, après avoir consacré la plupart des premières années post indépendance à répercuter le clivage dominant de l’époque entre Droite et Gauche sur fond de guerre froide sans jamais se mettre réellement au service du peuple pour l’éduquer, l’accompagner et régler ses problèmes, notre vaillante élite toutes obédiences confondues de la Droite à l’Extrême gauche, au début des années 80, se voit ramener à la dure réalité de son échec avec le début des ajustements structurels sous le dictat des Institutions financières internationales notamment le Fmi et la Banque mondiale.
L’ère des ajustements structurels imposés à notre pays comme une recette miracle finit d’achever la déstructuration du pays et provoquer la misère de nos compatriotes ouvrant la voie du pouvoir au «populisme éclairé». Nous appelons ainsi l’Alternance politique survenue en 2000.
Cette Alternance que beaucoup de Sénégalais pensaient comme le point de départ de la véritable rupture ratée au début de l’Indépendance va s’avérer à l’épreuve du temps comme une descente aux enfers sans fin avec toujours aux manettes cette même élite spécialiste de la combinazione politique pour parler comme nos amis italiens.
Au vu de tout ceci, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il ne faut pas s’étonner de la misère de l’offre politique : les mêmes acteurs (notre même élite) sont encore aux premières loges : entre une pseudo famille socialiste qui ne peut se retrouver en face d’une pseudo famille libérale qui se dispute l’héritage du vieux timonier rattrapé par l’âge, la misère de l’offre politique ne peut déboucher que sur une politique de misère, la trouvaille Assises nationales n’est que alibi.
Pour conclure, notre profonde conviction reste et demeure qu’il est temps que nos chers compatriotes sénégalais constatent la faillite de son élite dirigeante de l’Indépendance à nos jours, et apprennent à prendre leur propre destin en main ; c’est-à-dire à devenir de véritables citoyens.
Que Dieu préserve le Sénégal.
Mame Latyr FALL - Forum Civil Saint-Louis
Crise financière : Le défi de la monnaie en Afrique
Au moment où le monde est secoué par une crise financière sans précédent, avec des perturbations particulières dans la zone euro - monnaie par laquelle est garanti le franc Cfa de quatorze pays africains - l'Afrique se trouve directement interpellée. Elle l'est d'autant plus que nous sommes en train de changer d'époque qui oblige toutes les contrées du monde à s'inventer un nouveau modèle de croissance et de développement.
Cette conjoncture nouvelle place le continent dans l'obligation absolue de se préoccuper fondamentalement de la question de la monnaie qui aurait dû attirer son attention dès le lendemain de sa dite accession à la souveraineté internationale, car il est à peu près unanimement admis par les économistes que ‘la monnaie occupe une position centrale dans la vie sociale’, nous rapporte, feu le professeur agrégé camerounais, Joseph Tchundiang Pouemi, dans son ouvrage ‘Monnaie, Servitude et Liberté - La répression monétaire de l'Afrique’, publié en 1980.
L'Afrique ne peut plus continuer ainsi à renoncer à son progrès, ’soit en démissionnant, sans raison, devant ses responsabilités monétaires, soit en les utilisant pour nourrir une administration répressive, qu'il s'agisse de l'armée ou des technocrates…’, commente la maison d'édition ‘Les Editions J.A / Edition Conseil’ qui a publié l'ouvrage précité. Dans ce livre, Pouemi applique à l'Afrique tout ce que l'histoire des institutions m'avait cessé de montrer, à savoir ‘qu'un Etat ne peut jouer d'une pleine autorité et ne peut exercer une pleine souveraineté que lorsqu'il a réussi à centraliser entre ses mains la totalité de ses services financiers, à encaisser tous les revenus auxquels il a droit, pour payer lui-même toutes les dépenses dont il a la charge, sur toute l'étendue du territoire’.
Leçon de l'histoire
Cet enseignement de deux grands experts français, François Bloch-Lainé et Pierre de Vogüe, rapporté dans leur ouvrage ‘le Trésor public et le mouvement général des Fonds’, paru en 1961, nous fait remonter à la Grèce antique, à l'époque de Périclès, où, disent-ils, ‘l'une des raisons de sa solidité et de sa prospérité tenait à ce que la trésorerie de toutes les Nations alliées avait été finalement concentrée entre les mains d'Athènes, sur l'Acropole…’ De même, ‘les trésors de l'Empire romain ont été concentrés à Rome…, et on conçoit mal, de nos jours, que l'Etat puisse n'être pas le maître et le principal exécutant des opérations financières qui sont faites pour le compte de la collectivité’.
Il en est ainsi, de nos jours, dans tous les pays du Nord - de l'Ouest comme de l'Est - et dans la plupart des pays du Sud : d'Amérique latine, d'Asie, des pays arabes comme des pays anglophones et de la presque totalité des lusophones d'Afrique. Mais, hormis la République de Guinée et la République islamique de Mauritanie, tous les pays, anciennement sous colonisation française, ont choisi le franc Cfa, pour, soi-disant, assurer, en toute quiétude, leurs performances financières et économiques.
Cependant, les spécialistes sont, aujourd'hui, unanimes pour dire que le Cfa, rattaché à l'euro, depuis le début de la décennie dernière, après l'avoir été au franc français dès sa création en 1945, ‘ne saurait, par sa nature même, servir de levier de développement à l'Afrique. Pire : il demeure une arme d'asservissement des pays du Sud qui l'adoptent aux pays du Nord qui le garantissent’. C'est ce qui ressort du livre pertinent (‘Le franc Cfa et l'euro contre l'Afrique’) de l'économiste ivoirien Nicolas Agbonou, enseignant en Côte d'Ivoire, au Gabon et en France, paru en 1999 aux Editions Solidarité Mondiale A. S. Paris.
Prédominance de la France
Dans ce document, l'auteur recense les articles des statuts de la Bceao (Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest) et de la Beac (Banque des Etats de l'Afrique centrale) qui ont consacré la voix prédominante de la France, en matière de politique de crédit.
‘En créant, en 1945 (le 21 décembre), le franc Cfa, la France comptait retrouver et garder le contrôle du commerce extérieur de ses colonies ; contrôle qu'elle avait perdu pendant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation allemande, qui avait permis à ces colonies de couper leurs relations commerciales avec l'ex-métropole, au profit des alliés anglo-saxons’, rapporte, pour sa part, l'ancien président du Conseil des ministres du Sénégal, Mamadou Dia, dans son ouvrage ‘L'exacerbation de la crise…’, paru en août 2004.
Il déplore que toute décision stratégique à prendre au sein de ces deux banques centrales ‘est soumise à l'aval de la France, grâce à de fines arguties juridiques’ et que cette France a, en plus, ‘l'initiative (et il lui est loisible de consulter ses partenaires que ‘dans la mesure du possible’) de l'éventualité de modification de la parité du franc français vis-à-vis de monnaies étrangères. En contrepartie, les pays de la zone Cfa sont dans l'obligation de garder au moins 65 % de leurs devises auprès du compte d'opérations du Trésor français, depuis 1973, contre 100 % avant cette date. En retour, la France est censée garantir la libre convertibilité (ou convertibilité illimitée) entre le franc français et le franc Cfa’ ; ce qui ne l'a pas empêché d'imposer une dévaluation de 50 % du Cfa, en 1994, malgré l'opposition des gouvernements africains partenaires, ‘au prétexte que cette monnaie était surévaluée, alors qu'on s'en accommodait bien en d'autres temps, ou que l'on suscitait et encourageait ce fait et contribuait aux déficits structurels des balances des paiements des pays de la zone’.
En tout cas, le spécialiste de financement du secteur privé et des stratégies d'intégration régionale à la Banque mondiale, Dr. Pape Demba Thiam, trouve ‘aberrant que les deux banques sus-nommées soient les seules banques centrales qu'il connait au monde qui ne font pas de politiques économiques mais qui sont bâties sous la gestion traités(1)’.
Et c'est là tout le problème de fond de la monnaie qui, comme ‘attribut indiscuté de souveraineté, est synonyme de pouvoir’, nous a expliqué de long en large Magathe Sow, cadre sénégalais de banque retraité et expert-consultant en management des organisations(2). * (A Suivre)
Justin MENDY Journaliste