Un devoir de reconnaissance
Boulevard Mamadou Dia’ : Un devoir de reconnaissance
La décision du Conseil municipal de Dakar de débaptiser le ‘Boulevard de la République’ en ‘Boulevard Mamadou Dia’, du nom de l’ancien président du Conseil du gouvernement sous Léopold Sédar Senghor, décédé le 25 avril 2009, à l’âge de 98 ans, est passée presque inaperçue. Intervenue le 29 mars dernier dans le brouhaha des préparatifs de l’inauguration du ‘Monument de la Renaissance africaine’ et de la célébration du cinquantenaire de la Fête nationale du Sénégal, elle s’accompagnait de celle d’octroyer à la Place de l’Indépendance et à la rue Aristide Le Dantec le nom de feu l’ancien ministre de l’Intérieur, Me Valdiodio Ndiaye et ancien compagnon de prison de Mamadou Dia pour une prétendue tentative de coup d’Etat, un certain 17 décembre 1962.
Cette double décision municipale entre dans le cadre, selon ses auteurs, du cinquantenaire de la déclaration de l’indépendance du Sénégal du 4 avril 1960, dont Mamadou Dia était le signataire. Le Conseil municipal de Dakar a voulu ainsi saisir cette occasion d’étape pour, comme il l’a dit, ‘rendre hommage à deux éminents acteurs de la lutte menée par le peuple sénégalais à cette époque’ : deux nationalistes qui se sont distingués durant les années de braise qui devaient conduire à l’accession du pays à la souveraineté internationale. Me Valdiodio Ndiaye s’est signalé en particulier, en l’absence de Senghor et de Dia, par son discours d’accueil ‘musclé’ au président français d’alors, le général de Gaulle, en août 1958, à la dite Place - alors portant le nom de Place Protêt - où les ‘porteurs de pancartes’ réclamaient plutôt une indépendance immédiate, dont les propos de Valdiodio n’étaient pas très éloignés. Cette place est ensuite devenue la Place de l’Indépendance.Ministre de l’Intérieur, Valdiodio avait installé son cabinet et l’essentiel de ses services centraux, à proximité de cette place, dans les locaux qu’occupe encore actuellement la gouvernance de la région de Dakar, la rue A. Le Dantec la bordant par l’arrière.
Empreinte forte
Quant à Mamadou Dia, il a activement combattu aux côtés de Senghor, Ibrahima Seydou Ndaw et Léon Boissier-Palun pour implanter un parti fort, le Bloc démocratique sénégalais (Bds), puis au Sénat français et à l’Assemblée nationale française, avant d’occuper le poste de vice-président du premier gouvernement local, le président étant le gouverneur français, Pierre Lamy. Et, au moment du transfert de la souveraineté du territoire de la France au Sénégal, c’est lui qui a apposé, en 1960, sa signature au bas des documents concernés, après avoir conduit les négociations à cet effet avec les anciennes autorités de tutelle. Avant même cette date, il avait engagé des actions de libération effective des populations, paysannes en particulier, avec un plan de développement conçu avec le père dominicain, Louis-Joseph Lebret. Ce plan n’était autre qu’un projet d’exécution d’une économie participative des communautés de base, visant à anéantir l’économie de traite sur laquelle était fondée la colonisation, avec des partenaires locaux et qui était en voie de faire tache d’huile dans la plupart des autres nouveaux Etats africains francophones. Parallèlement, il menait une vraie politique de rigueur et d’austérité, combattant les germes de corruption sous toutes ses formes et instaurant une politique de bonne gouvernance à tous les niveaux. Sans aucun doute, Mamadou Dia aura certainement été l’une des personnalités qui ont le plus fortement marqué l’histoire du Sénégal depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa chute le 17 décembre 1962, victime d’un complot concerté, entre diverses forces locales et étrangères.
‘Le père de la Nation’
Je conviens, avec mon confrère Chérif Elvalide Sèye que ‘si la République du Sénégal pouvait souffrir d’être ramenée à un homme, cet homme serait assurément Mamadou Dia’. Il a tenu ces propos le 25 janvier dernier, jour de commémoration du premier anniversaire de son décès, organisée par le parti dont il fut le fondateur, le Msu (Mouvement pour le socialisme et l’unité), sous le titre : ‘Mamadou Dia, le patriote, le père de la Nation sénégalaise, indépendante et de la bonne gouvernance’, où il suggérait, sans aucune nuance, ce qui suit : ‘Le devoir de reconnaissance, non pour Dia, mais pour l’exemple qu’il doit servir pour le futur du Sénégal qui a oublié les valeurs qui auraient dû le fonder, exige, aujourd’hui, que cette belle avenue qui part du palais présidentiel et qui s’appelle fort bellement ‘Boulevard de la République’, porte désormais son nom ; cela doit être ‘Boulevard Mamadou Dia’ parce que, nul plus que lui n’a autant donné à notre République, nul plus que lui ne l’a fondée et inspirée…’ Deux mois après, le Conseil municipal de Dakar suivait la recommandation de Chérif.
On peut tout de même porter à discussions une telle décision, compte tenu des propos constants de Mamadou Dia de son vivant, que je me plais de rappeler, tels qu’il me les a dictés en 2001 et transcris dans son opuscule ‘Le Sénégal menacé…’, paru en avril 2001 et repris à la dernière page de son dernier ouvrage : ‘Les raisons de durcissement de son engagement’, publié en février 2007. Il disait, entre autres, ceci, parlant du combat qu’il entendait poursuivre jusqu’à son terme pour l’avènement d’une alternance démocratique : ‘… De ce dévouement à la cause nationale, nous n’attendons de nos compatriotes ni des fleurs, ni des couronnes, ni de stèle, quand Dieu le Très Haut nous appellera, mais tout simplement des prières ferventes dans la stricte tradition musulmane, c’est-à-dire dans une fervente humilité’.
A la place de ‘fleurs et de couronnes’, c’est une foule immense qui l’a accompagné à sa dernière demeure, lui offrant ainsi des ‘funérailles nationales’ à nulles autres pareilles. Quant au ‘stèle’ (boulevard et autres édifices…), les composantes du Sénégal auquel il a toujours déclaré avoir ‘la conviction d’appartenir’, jugeront de l’opportunité de lui ériger…
Justin MENDY Journaliste " justin_mendy@yahoo.fr "