Cher Amath Dansokho…
Cher Amath Dansokho…
Ce témoignage est le premier que je porte sur un homme politique sénégalais. Mais il ne sort pas de l'ordinaire que pour cette raison. Bien qu'il se démarque du lyrisme des commentaires suscités par ta décision de quitter le poste de Secrétaire général du Parti de l'indépendance et du travail (Pit), sans en remettre en question le substrat, il n'en souligne que mieux les vertus de l'homme exceptionnel que j'ai découvert en toi, ces dernières années.
Je sais donc que tu ne t'offusqueras point de cette liberté de ton qui jette une ombre à l'unanimisme, de tradition au Sénégal, chaque fois qu'un acteur social ou public de premier plan annonce sa retraite ou, pis encore, passe de vie à trépas... Désormais revenu de plusieurs illusions, notamment des rêves du grand soir qu'annonçait l'alternance politique survenue au Sénégal, il y a dix ans, tu es sans doute beaucoup mieux à même de comprendre pourquoi il m'est souvent arrivé de ne pas être en phase avec tes choix politiques. En particulier, ce fut le cas concernant ton soutien à la candidature d'Abdoulaye Wade à la présidentielle de l'an 2000. Fallait-il, au nom de l'aspiration collective à l'alternance politique, mettre sous le boisseau les questions et informations disponibles sur quelqu'un dont la vraie nature n'était pas suffisamment connue du vaste public ? La stratégie déroulée par ta formation politique, avec l'appui d'autres mouvements de l'opposition, était-elle sage ? Disons-le : tu n'étais pas seul à avoir fait de la rétention d'information.
On pourra aussi incriminer le peuple sénégalais qui, alors, ne voulait rien entendre d'autre que les prêches wadistes au point de se jeter dans une aventure semblable au saut d'un parachutiste, sans parachute. Sans que ceux qui ‘savaient’ lui donnent tous les éclairages pour sa prise de décision. Certes, le régime socialiste ayant atteint son niveau d'incompétence suprême, était lui-même devenu suicidaire.
Mais Wade n'était pas la seule pomme de discorde entre nous puisque ton choix communiste, celui de ta vie, était une autre ligne de démarcation. Là aussi, tu le sais, cela n'a pas été le mien.
Dans ces conditions, il peut sembler étrange que je prenne ma plume pour dire pourquoi, au moment où tu t'éclipses, je ne peux me dérober au devoir d'exprimer la fierté que j'ai éprouvée d'être devenu, ces dernières années, l'un de tes nombreux amis dans le cadre d'une relation qui est, cependant, l'une des moins connues du grand public.
Un flash-back s'impose pour comprendre. Ce retour en arrière fait entrer en scène un troisième homme, un ami commun, qui n'est autre que Djamil Sy, le marabout-politique, qui a fait une entrée en force dans la vie publique, ces temps-ci. Témoin de la genèse, cet esprit vif autant que politique au long cours, toujours au rendez-vous des grandes causes, était donc présent, lui aussi, dans une scène qui se passe dans le salon de l'aéroport d'Abidjan où nos chemins respectifs se croisent vers la fin des années 1990.
Politique et Sénégal sont au menu de l'intense conversation que nous avons eue ce jour-là. Sur fond de bouleversement politique en vue au pays, je n'avais pas hésité à exprimer mes réserves face à la perspective de l'arrivée au pouvoir d'un homme dont j'ai, pourtant, été proche des années auparavant. C'est de ce moment précis, ce jour-là, que date une amitié qui n'a cessé de se conforter avec toi, mais aussi avec Djamil.
Fast-forward pour mieux comprendre... Ce bond en avant est utile pour zapper l'hystérie collective, avant la grande désillusion, ayant entouré l'avènement de l'alternance politique de l'an 2000. Car aujourd'hui, le peuple sénégalais, qui n'aime se conformer qu'à ce qui lui plaît sur l'instant, sait désormais que certains refus de l'époque méritaient d'être mieux pris en compte.
Je suis heureux, cher Amath, connaissant ta combativité, que tu vois désormais clairement les calculs de Wade qui sont amplifiés par des ‘collabos’ sans vergogne. Venant de diverses couches socio-professionnelles, ces zélés collabos sont à son service moyennant un retour d'ascenseur professionnel, financier ou foncier. Ce qui les distingue, c'est qu'ils ne craignent pas de participer activement à la destruction des fondements républicains, de la bonne administration, de la démocratie et de l'imputabilité des actes publics ayant jusqu'ici servi de socle à l'Etat sénégalais.
D'avoir tourné le dos au wadisme te permet de cultiver encore plus que par le passé tes relations éclectiques avec de nombreux membres de la société sénégalaise. C'est, m'a-t-il semblé, une manière pour toi de faire, a posteriori, ton autocritique dans la bonne tradition de ta famille politique...
Cette capacité de remise en question sincère est, de fait, la première qualité que je décèle chez toi. Les Sénégalais ne s'y trompent pas qui, dans leur immense majorité, t'en savent gré. Ils t'estiment. De tous bords politiques, ils s'accordent sur ton honnêteté, ta franchise, ton nationalisme. La plupart te pardonnent tes erreurs politiques parce qu'ils savent qu'elles n'ont pas été faites sciemment, contrairement à celles de certains maoïstes locaux. Ces derniers font partie de ceux qui, à l'autre bout, tentent de tirer profit de ton accessibilité pour d'autres raisons. Pour tous les opportunistes, tu apparais, parfois, comme un grand naïf. Sachant que ta porte est toujours ouverte à tous, ils se rendent chez toi, cyniques, qui pour se faire passer pour un neveu, qui pour un ancien camarade de parti ou de bord politique, avec l'unique objectif de se réconcilier avec le peuple ou de faire oublier leurs infidélités ; d'autres, sortis des flancs du wadisme, après avoir été au premier rang des prévaricateurs, ne viennent chez toi qu'à seule fin de masquer leurs méfaits financiers et politiques, en se faisant passer pour de nouveaux opposants ; et enfin, beaucoup de néo-démocrates s'allient avec toi pour redonner du lustre à leur image ternie, sans changer grand-chose à leur nature.
Un devoir de vigilance s'impose à toi d'autant que ta capacité d'écoute devrait te permettre de faire le tri entre le vrai et le faux. Déjà, cette faculté te permet de digérer des vues multiples, pour faire des synthèses.
C'est cela qui fait de toi l'autorité morale de l'opposition sénégalaise. Comme elle explique l'esprit collégial remarquable qui a prévalu dans ton propre parti politique, sous ton leadership. Serais-tu, en fin de compte, un homme de compromis ? Les exégètes n'ont pas tort d'analyser sous ce prisme l'hommage appuyé que tu as rendu récemment, dans une autre variante de ton autocritique, à Léopold Sédar Senghor, apôtre du compromis dynamique. En reconnaissant son rôle dans la construction d'un Etat solide, malgré ses limites dans la pratique démocratique, tu as su l'opposer à ses deux successeurs avec lesquels tu as pu cheminer, dans les camps adverses, d'Abdou Diouf à Abdoulaye Wade, la plus mauvaise note étant attribuée à ce dernier.
Tes savoirs accumulés sont la somme d'années de combats, de partage, de discussions, de confidences reçues. Car, comme une éponge, tu es devenu, au fil des ans, un réceptacle des complaintes, des propositions et des stratégies pour sauver ce pays qui dérive. Commissaires de police, sportifs, journalistes, syndicalistes, chefs religieux, dirigeants politiques, artistes, hommes d'affaires, citoyens ordinaires, tous se sentent à l'aise chez toi. Tu y as bâti une ambiance saine. Le chic, c'est qu'elle n'est pas polluée par les discussions d'argent dans la mesure où tu as su résister à la tentation de devenir un homme d'argent, comme le sont ces nombreux parvenus, couverts par un régime prédateur, qui paradent dans nos rues maintenant.
Ta distance avec cette folie financière t'honore. Même malade, même s'il peut t'arriver d'être à court de moyens pour payer tes soins médicaux, voire pour faire face à des urgences quotidiennes, jamais, je ne t'ai vu être tenté par l'abdication. Et pourtant, il te suffirait simplement de claquer les doigts pour que des bienfaiteurs de tous les pays du continent t'ouvrent leurs bourses. Ils n'attendent qu'un signe de toi. Tu restes zen. Quelle différence entre cette retenue et la sébile que certains, toute honte bue, tendaient dans les capitales africaines quand ils tiraient le diable par la queue, dans les rangs de l'opposition !
Cher Amath, ce sont ces vertus qui ont fait que j'ai accepté ton amitié. Mais il y a plus : c'est cette commune volonté d'œuvrer à la création d'un Sénégal nouveau, débarrassé des pratiques qui l'enlaidissent. L'un et l'autre, nous savons que les chemins qui mènent à Rome étant multiples, les divergences de vue sur l'approche deviennent mineures, par rapport à l'objectif final que nous partageons.
Permets-moi alors de saluer en toi un Monsieur avec grand M et de te dire que je n'oublierai jamais le signe d'amitié publique que tu m'as fait quand, lors de l'hommage consacré par ton parti au légendaire Sémou Pathé Guèye, tu avais exprimé le vœu que je fasse partie des intervenants alors que je venais juste de rentrer sur Dakar.
Au nom de tout ce qui précède, je te dis : Chapeau bas ! Et surtout que Dieu te garde, cher Amath...
Adama GAYE Journaliste et consultant adamagaye@hotmail.com