Le Fmi, le Sénégal et la mallette de Pandore
Le Fmi, le Sénégal et la mallette de Pandore
Alex Segura, représentant du Fmi au Sénégal depuis trois ans, a laissé derrière lui une histoire compliquée : il a reçu des autorités sénégalaises une mallette contenant plus de 90 millions francs Cfa, en guise de cadeau d’adieu. Pour bons et loyaux services ? Allez savoir. Depuis, les autorités sénégalaises y sont allées de leurs explications qui, autant qu’elles sont, enfoncent le Sénégal plus qu’elles ne l’aident. Mais dans cette histoire, il y a des aveux et plusieurs inconnues.
L’aveu, de la bouche du président sénégalais et de certains ministres : le Sénégal a remis ce cadeau à Segura. Les inconnues : à quel dessein ce cadeau a été offert à Segura ? Quand certains crient à la corruption, d’autres convoquent les pseudo valeurs africaines qui veulent qu’un hôte soit honoré au moment de prendre congé. Une autre inconnue : pourquoi Alex Segura a trimballé la mallette pleine d’argent de l’aéroport de Dakar à Barcelone, en passant par Paris ? Avait-il accepté le cadeau ? Voulait-il confondre les autorités sénégalaises une fois en terre sure ? Voulait-il apporter la ‘preuve’ de la corruption à son employeur, le Fmi ?
En tout cas, les articles 32 et 33 du code éthique du Fmi qui traitent des cadeaux, décoration et honneurs nous apprennent qu’’aucun employé du Fmi ne devrait solliciter des cadeaux ou faveurs en relation avec ses responsabilités au sein du Fmi. Les cadeaux offerts devraient normalement être refusés.’ Le texte précise : ‘Cependant, il est permis d’accepter un petit cadeau quand son refus créerait une gêne. Si la valeur du cadeau est moins de 100 dollars, on pourrait le garder et on n’a pas besoin de le signaler. Si la valeur du cadeau est supérieure à 100 dollars, on devrait le signaler, avec les estimations de sa valeur.’
Au moins deux problèmes surgissent avec ce code : que veut dire ‘accepter un cadeau quand son refus créerait une gêne’ ? Qui sont les vrais sujets et objets de cette gêne ? Le Fmi ? L’agent du Fmi ? Le bienfaiteur ? Une gêne à quel niveau ? Au niveau personnel ? Au niveau institutionnel ? Ou au niveau relationnel ? Cela a besoin d’être caractérisé, si tant est qu’on veuille limiter les abus. On savait déjà que la généralité constitue la force et la faiblesse de la loi. Et cette généralité se retrouve aussi dans les codes de ce genre. L’aspect ‘gêne’ est dans ce cas de figure si vague qu’il permet toute interprétation et tout usage. Et en l’absence de garde-fous, tant au niveau sémantique qu’opérationnel, il serait difficile de limiter les écarts.
Deuxième problème avec ce code éthique : la valeur de 100 dollars, fixée comme seuil du tolérable et de l’acceptable. Pourquoi 100 dollars ? Parce que cette somme ne représente rien pour un fonctionnaire international ? Ou bien parce que 100 dollars dans le contexte d’un pays développé ne sont utiles que pour acheter des bonbons ? Dans d’autres cieux, 100 dollars représentent une somme importante. En plus, c’est moins la valeur que le mobile qui incombe ici : car on peut corrompre aussi bien avec 2 que 100 dollars. Ainsi le code éthique du Fmi devrait seulement se limiter à l’interdiction formelle de tout cadeau offert aux agents. Car il y va surtout de la réputation de l’institution qui, de par sa nature, doit être le premier exemple de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.
Les autres inconnues et questions se trouvent du côté du Sénégal : l’argent qui a été offert à M. Segura ne pouvait-il pas servir à autre chose ? Quand les populations des banlieues sont chassées de leurs maisons par les eaux ; quand des écoliers voient leur avenir hypothéqué par un manque de matériels scolaires primaires ; quand des familles entières sont décimées faute de pouvoir manger à leur faim ; quand les populations sont obligées de se rabattre vers les bougies faute d’électricité ; quand des mamans meurent en couche faute d’infrastructures hospitalières appropriées ; bref, quand les Sénégalais luttent pour s’assurer un minimum de survie, l’Etat ne trouve rien d’autre à faire qu’à gratifier d’un cadeau un fonctionnaire international qui n’a rien apporté au Sénégal. M. Segura, disons-le, n’a fait que son travail pendant les trois années qu’il a séjourné au Sénégal. Basta ! Ce cadeau, à lui offert, est inopportun et choquant. C’est une insulte aux Sénégalais.
Autre question : pourquoi l’Etat a choisi Segura pour ce cadeau pompeux ? L’Etat procède t-il de la sorte avec tous les fonctionnaires internationaux qui sont au terme de leur mission au Sénégal ? Si la deuxième hypothèse s’avérait, on devrait se préparer sans doute à mettre la clé sous le paillasson. Ces questions révèlent autant d’incongruités et de paradoxes qu’il est difficile de ne pas penser à la corruption. La bonne foi a ses limites devant autant de tares qui se révèlent urbi et orbi.
Ce qu’il y a encore de plus grave dans cette affaire, et plus précisément dans les déclarations du Premier ministre du Sénégal, c’est cette tendance à lier l’acte à une pratique bien africaine. Ainsi, pour se justifier, le chef du gouvernement du Sénégal insinue qu’il y a une réalité ‘ontologique’ propre aux sociétés africaines, qui ferait que ces dernières soient des espaces à corruption. Or, dans la société africaine qu’il convoque, le cadeau donné à l’hôte est purement symbolique et n’a rien à voir avec la valeur marchande. Autrement dit, c’est le geste qui fait la valeur et non la valeur qui définit le geste. La portée symbolique est plus significative que la valeur matérielle.
Bref on aura tourné les choses dans tous les sens, on se retrouvera avec trois responsables dont les culpabilités sont à degrés différents : l’Etat du Sénégal, entièrement responsable et coupable ; Alex Segura, entièrement responsable et coupable en partie ; et le Fmi responsable (pour n’avoir pas établi un code éthique clair) mais pas coupable.
Dans cette affaire - que d’aucuns qualifient déjà de Seguragate - c’est le Sénégal qui perd deux fois : son image est plus que ternie, et ses relations avec les organismes internationaux en prennent un sacré coup. Les vertus de la téranga (hospitalité) ne doivent pas mener aux vices de la corruption. Et quand les valeurs comme le sens de l’honneur et la dignité foutent le camp, notre pays ne ressemblera qu’à un vulgaire fantôme à jeter aux débris infects de l’histoire.
Que fera le Fmi ? Des mesures seront sûrement prises, allant du durcissement à ‘l’embargo’ peut-être. La part de marché du Sénégal au Fmi sera, sans doute, rongée. Au bout du compte, le seul perdant sera le peuple sénégalais qui, pourtant, mérite beaucoup mieux que ce qui lui arrive. Mais au-delà de cette affaire, on touche ici le fond de la démocratie : jusqu’où pourrait-on légitimement procéder à l’identification d’un peuple avec ses dirigeants !
Dr. Cheikh Mbacké GUEYE http://cheikh-m-gueye.blogs.nouvelobs.com/