Arrêtez de provoquer les terroristes !
Arrêtez de provoquer les terroristes !
‘Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui meurt’. (Gueï Robert) Monsieur le Président, c’est avec beaucoup d’inquiétude que je me permets de prendre mon clavier et de vous écrire cette lettre que vous lirez, peut-être, si votre calendrier, trop chargé, vous le permet. J’ai, au cours de la semaine dernière, appris que le Tunisien Yassine Ferchichi, élargi de prison et interdit de séjour en France pour ses activités terroristes, a été, comme une ordure dont on cherche à se débarrasser, déposé au Sénégal. Il est de notoriété publique qu’à cause de votre affairisme, Dakar est devenue la poubelle de l’Hexagone, le Guantanamo de tous les sans-papiers que l’Europe ne veut pas voir sur son territoire, alors même que nos propres compatriotes comparent leurs conditions de vie à celles des célèbres pensionnaires de la prison d’Alcatraz : ils vivent la peur au ventre et les soucis plein la tête.
Le Sénégal est un pays d’accueil, je l’admets et j’ai assez vécu dans mon pays pour le savoir. Mais, l’hospitalité, on ne l’offre qu’à celui qui la demande. Et selon les informations obtenues à son sujet, M. Yassine Ferchichi n’a jamais été demandeur de notre Téranga. Il est retenu à Dakar contre sa volonté. Et, priver une personne de liberté de mouvement, sans justification légale, c’est de la séquestration. En le faisant, Monsieur le Président - après avoir été considéré par les panafricanistes comme un traître qui vend ses frères africains, en acceptant qu’on expulse tous les sans-papiers vers Dakar contre de l’argent que vous donnent les Blancs - vous présentez notre pays, aux yeux de l’opinion internationale, comme un Etat voyou.
Or, Monsieur le Président - bien que je sois un farouche contradicteur du Ps - l’honnêteté intellectuelle, qui me guide, recommande de reconnaître que cet Etat que vous a remis Abdou Diouf, en 2000, n’était paria : il était très fort sur le plan diplomatique et très respecté dans le monde. Il n’était ni mafieux ni affairiste. Et le Sénégalais était fier de brandir son passeport à tous les postes frontières.
Excellence, votre avènement à la magistrature suprême a été salué partout avec brio. D’Abidjan à Tripoli, on pensait qu’avec vous, une nouvelle génération de politiciens, ancrés dans le vécu de leurs concitoyens, était née. Des patriotes, des gens dévoués au continent. Mais, dix ans après, il serait malhonnête de ma part de ne pas vous dire, Monsieur le Président, que le nombre de vos supporters a largement baissé, alors même que celui de vos pourfendeurs ne cesse de connaître une croissance toujours progressive.
Monsieur le Président, j’étais à Abidjan lorsque vous disiez qu’’un Burkinabé subit en Côte d’Ivoire ce qu’aucun Africain ne subit en Europe’. Au lendemain de cette courageuse - ou malencontreuse - déclaration qui avait fortement déplu à Laurent Gbagbo et à ses sbires - qui avaient appelé à marcher sur l’ambassade du Sénégal - le marché du Plateau, fief des commerçants sénégalais, a été brûlé et ses occupants, après avoir vécu terrés chez eux pendant des jours, ne furent jamais dédommagés. C’était en 2001. Pensant que vous avez compris que tous vos faits et gestes auront des conséquences sur vos compatriotes, nous avons été surpris de vous voir organiser, à Dakar, la Conférence internationale des Africains sur le terrorisme. Cette prestation de serment à un George Bush belliqueux vous a certainement rapporté beaucoup d’argent et vous a approché de Washington. Mais elle a failli coûter cher aux Sénégalais. Al-Qaïda ayant juré de punir le Sénégal, les forces de sécurité furent, pendant de nombreux mois, en état d’alerte maximal. Et vous savez, comme moi, Monsieur le Président comment tout cela s’est terminé avec l’arrestation du fils d’un de vos meilleurs amis, entraîné et équipé par l’organisation terroriste, pour faire sauter Dakar (…) Je ne vais, pour le moment, pas m’épancher sur les détails de cette gênante affaire.
Monsieur le Président, garder ce Tunisien, en plus de ternir l’image déjà salie de notre pays, ne nous attirera que des malheurs. Il radicalisera tous les anti-occidentaux, donnera raison à tous ceux qui racontent ici que les Sénégalais sont les suppôts de cette France qui expulse et donnera des idées noires à des apprentis terroristes qui voudraient se faire de la publicité en s’en prenant à nos compatriotes et à leurs intérêts à travers le monde. Ils ne s’en prendront jamais à vous, si cela peut vous rassurer, ni à votre famille. Vous êtes trop bien gardés ! Mais nos compatriotes ne le sont pas. Alors, Monsieur le Président, je vous prie de penser à ces pauvres concitoyens qui n’ont pas les moyens de s’entourer de gardes du corps comme vous et votre entourage. A ceux-là qui s’entassent dans des cars rapides pour se déplacer faute d’avoir les moyens de se barricader à l’arrière des voitures blindées ou de se prélasser avec un jet privé, comme votre fils Karim.
Chez nous, un adage que vous connaissez certainement mieux que moi, dit qu’’un vieillard assis aperçoit ce qu’un jeune, même debout, ne peut voir’.
Mais ça, c’était certainement au moment où la vieillesse, symbolisée par la blancheur des cheveux, était synonyme de sagesse. Parce que les vieux qui vous ont accompagné pendant vos mandats, à l’image de feu Abdoulaye Diack, Iba Der Thiam…, n’ont jamais été sages. Et je ne voudrais, pour rien au monde, croire que votre manque de sagesse - s’il est vrai que vous en manquez - soit dû à l’absence de cheveux sur votre crâne.
Alors, Monsieur le Président, de grâce et pour rendre service au peuple sénégalais qui vous aime tant - même si certains penseront le contraire - remettez-le dans un avion et réexpédiez-le-nous en France. Ici, nous avons les moyens de le surveiller, comme on le fait avec ceux libérés de Guantanamo. Sinon, on a nos armées en Afghanistan pour l’y conduire et ce pays est assez vaste pour lui trouver une place là-bas. A moins qu’il ne préfère le Yémen ou le Nigeria.
Dans l’attente de voir la suite que vous voudrez bien donner à cette lettre, veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments respectueux et, je le reconnais, néanmoins libertaires.
Bacary TOURE Journaliste-écrivain