« Le père « omniscient » et le fils « omnipot
« Le père « omniscient » et le fils « omnipotent » ne peuvent pas
Comment sortir durablement le Sénégal du calvaire des coupures d’électricité
Il est vrai que le système de distribution publique de l’électricité n’est pas simple, il est même très complexe. Mais des solutions pour contourner les difficultés liées à l’exploitation et au fonctionnement des systèmes électriques existent. Nous sommes-nous déjà demandés comment se fait-il que des pays comme la France ou l’Allemagne, qui ont des systèmes électriques beaucoup plus complexes que le nôtre, ne connaissent pas le calvaire que nous vivons ?
Je voudrais apporter une contribution en tant que citoyen évoluant dans le système électrique et énergétique du Sénégal depuis 34 ans, dont 27 comme cadre technique et Directeur à la Senelec et 7 ans comme Directeur général de Proquelec. Les problèmes de gestion des mouvements d’énergie et de plan de fonctionnement pour la satisfaction de la demande d’électricité sont avant tout des sujets de spécialistes, avant d’être des thèmes de dissertation socio politique. Néanmoins, il est juste de reconnaître à tous les usagers le droit de parler de leur insatisfaction et de donner leur avis en tant que clients de la Senelec.
De prime abord, je pense que le remplacement du ministre de l’Energie ou celui du Directeur général de la Senelec ne constitue pas, du moins sous l’angle strictement technique, la solution miracle pour régler le problème de l’électricité au Sénégal. Je comprends que le président de la République ait pris la mesure de limoger ou d’accepter la démission du ministre de l’Energie face à toutes ces pressions populaires. Il faut reconnaître que le ministre de l’Energie a subi, comme pratiquement aucune autre personne dans ce pays ne l’a encore été, une pression populaire sans limite.
Il y a des solutions techniques durables utilisées dans pratiquement tous les pays développés, que nous examinerons plus loin, parfaitement adaptables au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique, mais leur délai de mise en place est relativement long : trois ans en moyenne. En toute franchise, il n’existe pas de mesure miracle applicable et fonctionnelle à court terme qui permette de régler définitivement la satisfaction de la demande d’électricité dans notre pays. Aucun spécialiste sérieux ne peut l’affirmer.
On ne peut pas être dans une situation d’équilibre instable, sans marge de production confortable ni plan durable de sureté et passer tout le temps à affirmer que ‘bientôt les délestages ne seront qu’un vieux souvenir’. Tous ceux qui l’ont avancé depuis plus de 20 ans, ont été contredits par les évènements ; il faut donc dire la vérité aux populations.
Cependant, il y a des solutions qu’il faut mettre en place rapidement et qui pourraient permettre d’être dans une situation un peu plus confortable, en attendant les grands remèdes.
1ère MESURE URGENTE
Location de groupes électrogènes d’une puissance totale d’au moins 50 mégawatts (Mw)
Actuellement, des unités de production en panne et en arrêt pour entretien programmé ou pour défaut de combustible seraient la cause des délestages. Au retour de ces unités de production, on retournerait à la situation d’équilibre instable. Cet équilibre sera rompu dès qu’un groupe tombe à nouveau en panne, et on se retrouve dans la situation d’avant. C’est là une situation d’instabilité permanente qui ne rime guère avec les exigences économiques et sociales de ce siècle. Les citoyens ont le droit de savoir, mais reconnaissons qu’ils sont fatigués d’entendre les mêmes explications.
Les groupes électrogènes permettront de constituer une marge pouvant résorber en partie ou entièrement les déficits, en cas de panne. Ils ont l’avantage de pouvoir être installés et raccordés au réseau interconnecté dans de courts délais.
2e SERIE DE MESURES D’APPOINT
J’avais déjà proposé ces mesures en août 2007, autre moment de grand déficit.
Campagne de sensibilisation d’économie d’énergie
Je crois que les usagers sont assez lucides pour comprendre qu’il vaut mieux avoir, à certaines heures, le tiers ou le quart de leur installation à l’arrêt que d’être privés totalement de courant pendant ces heures. La réussite de cette campagne exige une stratégie de communication convaincante et efficace.
Ampoules à basse consommation
Je ne m’étendrai pas sur ce point, car Senelec est en train d’en dérouler le programme. Il s'agit de distribuer aux clients de Senelec des ampoules à basse consommation (Abc) afin de réduire notablement la pointe du soir. J’ajouterai cependant que la Senelec devra rester vigilante vis-à-vis de son plan de tension à cause du mauvais facteur de déplacement de ce type de lampes et des courants harmoniques qu’elles absorbent.
Contrat d’effacement Gros clients
Il s’agit de répertorier tous les clients haute et moyenne tension ayant une puissance appelée de plus de 400 Kw et de leur proposer un contrat d’Effacement heure de pointe (Ehp). Les clients bénéficient en permanence d’un tarif préférentiel, mais devront s’effacer pendant les périodes de déficit et à la demande de Senelec, sinon le tarif qui leur est appliqué est multiplié par dix.
A titre d'information, un type de contrat similaire (effacement jour de pointe : Ejp) a pu faire bénéficier à Edf (Electricité de France), pendant des périodes critiques, une baisse de puissance de 1 000 Mw !
Délestage par baisse de tension
Comme on le sait, la puissance appelée par la plupart des charges, notamment les charges résistives, dépend fortement de la tension. Il arrive qu'en Europe, pour limiter les transits de charges à ses frontières, un pays procède à des délestages par baisse de tension à la place d’interruptions de service. C’est un type de délestage qui fonctionne et qui est plus convenant pour les usagers qui accepteraient bien une baisse de tension dans les limites admissibles plutôt que d’être privés complètement d’électricité.
Il est important qu'un plan de tension bien étudié accompagne ce type de mesure pour éviter des chutes de tensions inadmissibles en certains points du réseau de distribution. Une mission d’expérimentation de Senelec que nous avions conduite il y a 15 ans sur une partie du Réseau interconnecté, avait entraîné une baisse de puissance de 8 Mw, sans aucune réclamation de mauvaise tension.
Efficacité énergétique
Lors des audits énergétiques qu’elle a réalisés, Proquelec s’est rendu compte du gaspillage énorme d’énergie dans le bâtiment et dans l’industrie, souvent par méconnaissance. Des économies de 20 à 30 % sur la consommation d’électricité ont pu être réalisées. Au cours du Congrès mondial de l’énergie tenu en septembre dernier à Montréal au Canada, il a été beaucoup question d’efficacité énergétique. Il y a été même déclaré que ‘l’efficacité énergétique était une nouvelle source de production d’électricité’. Egalement, lors des Assises sur l’Efficacité énergétique en janvier 2009 à Lyon, une idée force y avait été dégagée : ‘La meilleure manière d’économiser de l’énergie était de ne pas la consommer’.
Il est donc urgent de généraliser l’efficacité énergétique. L’exemple de l’Algérie qui impose à tous les clients ayant une puissance égale ou supérieure à 300 Kw de recourir à un plan d’efficacité énergétique, est assez édifiant. Le gouvernement du Sénégal, lors du Conseil interministériel sur les factures d'électricité tenu le 15 décembre 2008, avait demandé de généraliser l’audit énergétique auprès des 1 800 clients moyenne tension de la Senelec. Ce programme n’a pas eu de suivi.
3e MESURE POUR UNE SOLUTION DEFINITIVE
Stratégie de constitution d’une marge confortable et mise en place d’un plan de fonctionnement et de sureté
Les situations de déficit de production sont récurrentes au Sénégal ainsi que dans plusieurs autres pays d’Afrique. La cause fondamentale est le manque de réserve. Dans les pays développés, il y a comme chez nous beaucoup de pannes de groupes de production, seulement ces indisponibilités sont masquées par une réserve mise en place pour suppléer ces puissances manquantes. C’est toute la différence avec nos pays.
Pour mieux illustrer le principe de gestion et d’utilisation de la réserve, prenons le temps et faisons l’effort de comprendre le principe de fonctionnement du système électrique français que je connais mieux pour avoir séjourné dans pratiquement tous les dispatchings d’électricité de France (national et régionaux).
Le fonctionnement du système français et les automatismes de réglage
Le réseau français est connecté à l'ensemble du réseau européen en temps réel. Un incident sur le réseau français se répercute sur l'ensemble du réseau européen. Si un groupe de production tombe en panne, il y a un déficit de production qui entraîne une baisse d’un indicateur appelé fréquence, qu'il faut arrêter rapidement. L'équilibre entre production et consommation se fait alors à l'échelle de l'Europe en temps réel.
Chaque groupe de production a un réglage primaire qui lui permet, quand la fréquence baisse, de mobiliser automatiquement la marge primaire qu'il a réservée. Ainsi, en cas de perte d'un groupe, toutes les unités de production du réseau interconnecté européen dégagent leur marge primaire afin de compenser la puissance perdue.
Ce système permet de rétablir l'équilibre entre production et consommation. Cependant, les transits sur les lignes changent, ainsi que l'équilibre entre les pays. En effet, si l'on perd un groupe en France, les trois quarts de la puissance perdue sont compensés par l'étranger. Les lignes d'interconnexion qui transmettent cette puissance sont alors chargées, ce qui nuit à leur fonctionnement. Chaque gestionnaire de réseau doit redevenir indépendant. Dans chaque pays, un système appelé réglage secondaire mesure les transits aux frontières et les compare aux transits existants en période normale. Dans le cas évoqué précédemment, le système français percevra, à l'échelon national, un afflux d'énergie et mobilisera, uniquement sur les groupes français, une deuxième réserve dite marge secondaire, qui rétablira l'équilibre entre production et consommation en France. A l'inverse, les systèmes étrangers baisseront, par ce réglage automatique global, leur production.
Résumé des automatismes de réglage
* La première étape, appelée réglage primaire, a lieu quelques secondes après l'incident. Elle permet à chacune des centrales du réseau européen en fonctionnement, de compenser la perte d'une centrale. L'ordre de grandeur est de 700 Mw
* la deuxième étape, appelée réglage secondaire, rétablit la situation au niveau national. L'ordre de grandeur est également de 700 Mw
* la troisième étape, proche de la programmation journalière, consiste à rétablir les marges mobilisées pour pouvoir faire face aux incidents suivants. Il s'agit de redémarrer des centrales pour compenser celles qui ont été perdues.
Adaptation au système sénégalais
Aussi longtemps que nous serions incapables de constituer une marge confortable, nous ne serons jamais en mesure de supprimer définitivement les interruptions de services dues au manque de production. En l’absence d’un réseau électrique africain ou ouest africain interconnecté bien structuré, nous devons constituer notre réserve à l’intérieur de notre réseau national interconnecté. Deux types de réserve doivent être considérés :
1 - Une réserve chaude : c'est-à-dire tout de suite disponible qui permet de suppléer instantanément tout déficit de production. Il suffit de disposer de suffisamment de machines, de les utiliser chacune à 80 % environ de leur capacité pour constituer une marge chaude globale de l’ensemble du réseau interconnecté. Chaque groupe de production dispose d’un mécanisme de réglage primaire qui lui permet, quand la fréquence baisse, de mobiliser automatiquement sa réserve chaude. Ainsi, en cas de perte d'un ou de plusieurs groupes, toutes les autres unités de production libèrent leur réserve chaude afin de compenser la puissance perdue.
2 - Une réserve froide : puissance totale de l’ensemble des machines disponibles, mais à l’arrêt, pouvant être démarrées dans des temps variables entre 15 minutes et quelques heures et qu’on peut solliciter si la marge chaude est insuffisante pour compenser intégralement le déficit.
Naturellement, la constitution de réserves nécessite de très gros investissements ; les nouveaux ministres en charge de l’Energie (ainsi que leur prédécesseur d’ailleurs !) pourraient bien aller chercher les fonds importants nécessaires, qui s’ajouteraient à ceux éventuellement déjà mobilisés.
Par ailleurs, il faut noter que la constitution de réserves telle que décrite plus haut, est dynamique. Elle nécessite une bonne planification des moyens de production. C’est bien de construire des centrales, mais il ne s’agit pas de mettre en service une ou deux unités de production par an et de faire croire aux Sénégalais que, ‘désormais, les délestages ne seront plus qu’un vieux souvenir !’. En effet, la demande en électricité, donc la charge du réseau, augmente d’année en année ; ainsi la réserve diminue d’autant chaque année. Il faut donc la reconstituer régulièrement à des périodicités définies. Par exemple, la puissance de 20 Mw d’un groupe que vous inaugurez à l’année N, sera entièrement appelée par les charges additionnelles de l’année N+1; ainsi vous vous retrouvez à l’année N+1 dans la situation de l’année N !
L’investissement en moyens de production est donc une action sans fin. C’est ainsi que fonctionnent tous les pays qui ont réussi à éliminer définitivement le spectre des délestages récurrents. Une planification dynamique des réserves de production est absolument nécessaire pour que le Sénégal soit définitivement débarrassé des situations récurrentes de déficit de production.
DIFFUSION DU PLANNING DES INTERRUPTIONS DE SERVICE
Ce n’est certainement pas une solution aux délestages, mais c’est une pratique que nous avions à la Senelec il y a près de 13 ans. Les clients étaient répartis en tranches dont le nombre était fonction de la profondeur du déficit : tranches A-B (12 heures de coupure par jour et par tranche), A-B-C (3 fois 8 heures de coupure), A-B-C-D (4 fois 6 heures de coupure), etc. Le programme était diffusé dans la presse avec les noms des zones à couper et les tranches horaires correspondantes. Il était également transmis par fax au Spids pour l’information directe des entreprises industrielles.
Naturellement, en cas de panne inopinée d’un groupe dont on ne maîtrise pas la date de rétablissement, la production d’un tel planning est impossible, en tous cas très hasardeuse. Mais pour des déficits mesurables et durables (quelques jours à quelques semaines, voire mois), comme ceux que nous avons vécus ces derniers temps, il est parfaitement possible de communiquer un programme de coupures aux usagers de l’électricité, en veillant toutefois à leur préciser que du fait de la variabilité de la profondeur du déficit, ce programme pourrait subir une modification. Les usagers ont toujours réclamé, à juste titre, d’être régulièrement informés de la période de coupure de leur quartier afin de prendre les dispositions de circonstance.
Adiouma DIONE Ingénieur Génie électrique Dea en Energétique et Dynamique des systèmes complexes - Paris XII Directeur Général de Proquelec Email : adione@proquelec.com