Contre un troisième mandat
Contre un troisième mandat : Le Département d’Etat américain anticipe la retraite de Wade
Les Etats-unis s’insurgent ouvertement et pour la première fois contre un troisième mandat du président de la République. Et même s’ils considèrent qu’il appartient au Conseil constitutionnel de trancher la question de la candidature du président de la République, les Etats-unis estiment que Wade ne devrait pas prendre part à ce scrutin. Interrogé par Rfi, William Fitzgerald, le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines affirme que c’est le bon moment pour lui d’organiser des élections libres et démocratiques et de prendre sa retraite. ‘Il appartient au Conseil constitutionnel de décider de la candidature du président Wade.
Mais, il est regrettable que le président Wade, après tellement de temps et tellement de services rendus à son pays, participe à cette élection’, déclare le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines.Et même s’il ‘n’est pas sûr’ des violences qui pourraient découler de la décision des cinq Sages, William Fitzgerald espère que cette décision sera accueillie dans le calme. Car, le Sénégal est connu pour sa une tradition démocratique, son calme et sa sécurité, conclut le diplomate américain.
Charles Gaïky DIENE
De la proximité entre le journaliste et le politique : faut-il méditer le choix respectable d’Abdoulatif Coulibaly ?
Quelle doit être la frontière entre le journalisme et la politique ? Y a-t-il une possibilité pour le journaliste de parler de politique tout en gardant une distance objective qui lui permette de ne pas tomber dans la tentation de transformer sa plume ou son micro en arme politique ?
Hubert Beuve-Méry, journaliste emblématique du 20e siècle et fondateur du journal qui reste encore la figure totémique de la presse française libre, (le quotidien ‘Le Monde’), a admirablement fixé la norme matrice de l’éthique et de la déontologie du journalisme par une formule brève et pertinente : ‘Le journalisme, c'est le contact et la distance.’
A l’image du scientifique qui observe les faits ou les touche dans le seul but de mieux les comprendre, le journaliste doit se faire l’obligation de traiter les faits de l’extérieur. L’extériorité est également l’attitude que Durkheim avait fixée comme norme du travail du sociologue lorsqu’il affirmait qu’il faut traiter les faits sociaux comme des choses.
Si le travail du journaliste est si proche de celui du spécialiste des sciences humaines et est aussi difficile que lui, c’est parce que, dans les deux cas, nous avons la même situation intellectuelle et morale : un homme parle de faits humains. Les affinités avec les sujets des évènements dont traite le journaliste, ses conceptions idéologiques et ses convictions religieuses ou morales, peuvent toujours influer sur la manière dont il appréhende les faits politiques.
La projection, le parti pris, la confusion entre l’objectif et le subjectif, ainsi que l’instrumentalisation de l’un par l’autre sont des risques constants ici. Le contact et la distance sont, en effet, les deux pôles qui orientent l’investigation, le commentaire et l’exposé fidèle des faits, que doit faire le journaliste. Pour parler des faits, il faut les approcher, les sentir et même les vivre si possible, mais tout en se gardant soi-même d’être noyauté par ceux-ci. Il faut dire que cet équilibre n’est pas évident et c’est justement le charme, mais aussi le mythe du journalisme.
Il est en principe crédité d’une neutralité ou d’une objectivité qui font que son avis, même s’il se défend d’en avoir un, reste déterminant dans la démocratie. C’est que la presse demeure une école pour bon nombre de citoyens et une loupe qui élargit ou façonne la vue de certains hommes politiques. Elle correspond donc à un besoin démocratique et intellectuel irrépressible pour l’homme moderne.
Mais c’est justement ce qui fait la fragilité de la presse et la contingence presque absolue du métier de journalisme : les opportunités qu’ils offrent constituent ses principales sources de perversion. Le métier de journaliste est passé de la situation d’être partout en danger à celle d’être un danger partout et tout le temps ; singulièrement lorsqu’il est envahi par des gens qui y voient tout juste une opportunité, un simple instrument.
Parce qu’il est drapé du manteau d’instrument démocratique, la presse et le journaliste peuvent être constamment usurpés par des attitudes antidémocratiques dans le seul but de passer inaperçues. Ce n’est pas un hasard si en France, aux Etats-Unis et même au Sénégal, le champ politique et celui médiatique sont en train de devenir des vases communicants.
De plus en plus, on voit des hommes de médias franchir la limite traditionnelle entre politique et journalisme et se lancer à la conquête du pouvoir ou simplement jouer les premiers rôles dans les officines politiques des grandes forces qui s’affrontent sur le terrain politique.
Le passage du journalisme à la politique n’est cependant ni un crime, ni une apostasie, ni même un problème démocratique véritable. Le journaliste est avant tout un citoyen qui a le droit d’avoir des idées politiques et des convictions s’il veut prendre le risque de descendre sur le terrain politique et de les défendre. Rien, dans sa déontologie, n’interdit par conséquent au journaliste de faire la mutation s’il le désire.
Un homme comme Abdou Latif Coulibaly est, sous ce rapport, respectable en ceci qu’il a eu le courage d’exprimer clairement sa préférence politique et son antipathie manifeste pour la gestion libérale du pays. Le fait même qu’il ait convoité le statut de candidat à l’élection présidentielle est une forme de déontologie car il a estimé peut-être que ses critiques à l’endroit du régime avaient atteint une profondeur telle que la frontière entre le journalisme et la politique risquait d’être consommée.
Il y a des choses qu’on peut, en tant que journaliste, révéler au grand jour, il y a des fêlures et des faiblesses que tout journaliste doit dénoncer dans un régime, mais dès lors qu’il s’agit de prendre parti et de proposer des alternatives, l’éthique et la déontologie exigent de passer du journalisme à la politique. Le choix de Latif est donc responsable, respectable et légitime parce que rien ne fait de lui un journaliste ad vitam aeternam : s’il a des projets, une vision, une contribution à apporter à la démocratie ou un programme économique et social, il a bien fait de s’engager politiquement et ouvertement. Ce qui est en revanche inquiétant, révoltant et surtout avilissant pour le métier de journalisme c’est la grande hypocrisie consistant à se servir de son métier pour faire le sale boulot des hommes politiques.
Ce qui est inadmissible, c’est le fait de chercher à transformer en catimini le métier de journalisme et la presse en auberge pour personnel politique en quête de repère ou d’abri provisoire. La presse indépendante de notre pays est abondamment envahie par des politologues, des experts en communication et autres spécialistes en média-mensonge qui occultent leur esprit partisan et leur politisation par des statuts usurpés ou cédés sur la base de calculs.
Leur message est à la lisière de la politique et du journalisme à telle enseigne que leur sentence échappe à la rigueur et la rudesse implacable du débat politique et fait office d’arbitrage d’un combat auquel ils prennent déjà parti. Cette tendance a fait que la presse ressemble de plus en plus à une belle boutique dévalisée aussi bien par ses propres propriétaires que par des brigands venus de l’extérieur. (A suivre)
Pape Sadio THIAM Journaliste chercheur en Sciences politiques thiampapesadio@yahoo.fr 77 242 50 18
Le jeu electoral et la citoyenneté
Après avoir décrit la perte de vitesse du tout partisan et analysé les causes de l’émergence de la nouvelle citoyenneté incarnée par des organisations de la société civile, le philosophe-écrivain Mamadou Ablaye Ndiaye (voir Sud quotidien des vendredi 20, samedi 21et lundi 23 janvier 2012) va plus en profondeur dans la description des luttes ayant abouti à une remise en question de projets dont l’aboutissement aurait pu changer la nature de la République au Sénégal.
Le mouvement citoyen opère sur le registre des Droits de l’Homme qui confère à la résistance à l’oppression, une légalité certaine au même titre que la liberté et la propriété. Ce faisant, il assume à bras le corps, le combat démocratique du peuple sénégalais contre la dérive despotique effectuée par Me Wade dont les multiples tripatouillages de la Constitution sont tributaires de la logique de dévolution dynastique du pouvoir. Sous ce prisme, le mouvement citoyen devient le défenseur des institutions républicaines et s’insurge contre la violation de la Loi fondamentale sans lésiner sur les moyens de la défense et de l’illustration du Droit, à l’instar de Hegel qui soutient que c’est sur l’idée de droit qu’on a érigé une Constitution sur laquelle tout doit désormais reposer …comme si l’on assiste pour la première fois, à la réconciliation du divin avec le monde, ce fut un magnifique lever de soleil.
Il apparaît au grand jour, que la ruine du concept de Droit, qui porte l’Etat de Droit, provoque l’éclipse solaire sur toute l’étendue de la République qui ne peut conjurer un tel péril, qu’en déployant toutes les énergies combatives, pour pérenniser la volonté populaire comme l’unique dépositaire du pouvoir politique.
Levée de boucliers sans précédent
Ainsi, le projet de loi relatif au ticket président-vice-président assorti de l’éligibilité avec 25% des suffrages exprimés, en compromettant le caractère républicain de l’Etat, a suscité une levée de boucliers sans précédent au Sénégal. Il a entrainé un grand flux de révolte populaire devant les barricades de l’Assemblée nationale pour mettre en garde les députés contre le vote de cette loi scélérate. La furie de la révolte est si puissante que l’auteur du texte a sursis au projet de loi qui mettait en chantier les conditions de possibilité de la dévolution dynastique du pouvoir.
En autorisant la constitution du ticket présidentiel, la loi met dans l’ordre du possible, la gestion officielle de la République par le duo Président Abdoulaye Wade et son fils Karim. Ce dernier dédouble déjà le Chef de l’Etat dans l’exercice du pouvoir.
Cette gestion ubuesque s’incarne dans les symboles de l’Etat quand le fils, à l’instar du père-président, se déplace dans le cadre de son travail en jet privé et, qui plus est, se dote personnellement d’un dispositif communicationnel pour faire son marketing politique. Cela, avec le concours d’hommes de média qui rivalisent de dithyrambe avec les flagorneurs des Princes du moyen-âge africain. En vérité, le dédoublement du pouvoir présidentiel ne vient pas ex-nihilo ; il est l’achèvement du processus de patrimonialisation de l’Etat dont la nidation s’est effectuée dans l’espace présidentiel où les fils du président de la République ont élu domicile dés le début de son régime, en exerçant des fonctions stratégiques.
Dans «La République en détresse», article publié dans les colonnes de Sud Quotidien en avril 2004, nous avons mis en exergue cette perversion de la République en substituant la consanguinité au rapport civil qui est, selon Jean Pierre Vernant, la matrice de la République. A l’époque, cette sonnette d’alarme n’avait pas d’écho auprès de la classe politique qui minorait le phénomène Karim et élaguait la perspective de dévolution dynastique, mais non monarchique, du pouvoir.
Et Me Wade cesse d’être le maître du jeu
Ce funeste projet apparaît au grand jour, le 23 juin suscitant la levée de boucliers contre sa validation par le Parlement. Les citoyens qui refusent la servitude ont livré bataille pour préserver la républicanité de l’Etat du Sénégal.
La lutte des dignes citoyens le 23 juin, est d’autant plus salvatrice qu’elle a exorcisé la dérive despotique, qui hante la République sous l’empire du pouvoir issu de l’Alternance où tout ce qui est possible est permis. Le combat pour la sauvegarde du paradigme républicain pose le problème-clé des limites, en renouvelant le triple questionnement kantien : «Que suis-je» ? «Que puis-je»? «Que m’est-il permis d’espérer»?
La réponse à ce monumental questionnement permet de saisir la césure qu’opère le mouvement du 23 juin et aussi de savoir dans quelle mesure il rompt le fil d’Ariane du court cours historique du régime de l’alternance. Cette césure fait surgir un nouveau futur où Me Wade cesse d’être le maître du jeu politique et se retrouve désormais à la remorque des événements qui façonnent le destin du Sénégal. Depuis belle lurette, Jean Jacques Rousseau avait averti tous les Princes en ces termes : «le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme pas la force en droit et l’obéissance en devoir».
V - LE PROJET DEMOCRATIQUE ET LE MOUVEMENT CITOYEN
Le 23 juin 2011 est un jour emblématique où la République échappe à la restauration despotique, grâce à la révolte populaire fortement irriguée par la citoyenneté que le courant de Y’en a Marre a mis en perspective par devers l’apathie des politiques engluées dans les jérémiades de salon.
La furie de la fronde populaire est si puissante que le pouvoir a sursis au projet de loi constitutionnelle. Cette victoire a enclenché la marche funèbre, sur le tempo de Ludwig Beethoven, du pouvoir issu de l’Alternance, en administrant au peuple la preuve de la vulnérabilité du pouvoir face à la résistance populaire. Déjà, Michel Foucault faisait observer qu’aucun pouvoir n’est absolument absolu car la révolte est irréductible. Autrement dit, l’acte par lequel l’insurgé défie le pouvoir du despote au prix de sa vie, est tout à fait gratuit ; il a sa cause en lui-même.
La révolte du peuple du 23 juin n’a pas manqué d’ébranler le triomphalisme légendaire de Me Abdoulaye Wade qui opère un glissement dans le spleen baudelairien. Cette angoisse insolite se manifeste au grand jour dans l’évaluation faite par ce dernier des évènements du 23 juin par le détour d’une cérémonie de remise de Rapport annuel de la Commission électorale autonome (Cena). L’opportunité de la rencontre autorise la séance d’exorcisme pour conjurer le mauvais sort jeté sur la démocrature, en ce jour maléfique, voire maudit, du 23 juin, par les adeptes de la politique du pire comme Barrés dont l’ aphorisme «malheur à l’ enfant qui vient au monde sans l’injure à la bouche», fait vaciller les assises du royaume.
A la tyrannie, opposer la lutte
Selon le chef de l’Etat, ces événements sont regrettables mais ils montrent à la fois la fragilité et la solidité de notre démocratie qui est heureusement sauve. Le gouvernement est disposé à appliquer les recommandations contenues dans le rapport 2010 de la Cena pour que le Sénégal puisse se diriger vers des élections sans contestations majeures (Sud quotidien du7 juillet 2011).
Pour parodier Karl Marx, il n’existe pas de route royale pour l’émancipation politique ; seuls les peuples qui luttent avec abnégation peuvent mettre un terme à la tyrannie. Cette idée est appropriée par les républicains qui ont immortalisé le combat héroïque du peuple le 23 juin par la création du mouvement M23 dont le programme s’articule autour de la défense du paradigme républicain à savoir, la souveraineté appartient au peuple, nul ne peut l’exercer s’il n’en émane. Le mouvement développe son spectre avec l’organisation de manifestations civiques dans les régions sur une amplitude d’autant plus vaste, qu’il brise le dogme politique de mauvais aloi qui a établi une dichotomie entre la société civile et l’espace politique, comme si celui-ci était l’apanage d’un cercle restreint d’initiés de la politique politicienne.
La bourrasque du mouvement citoyen est si fulgurante que celui-ci donne son cachet à l’ordonnancement organisationnel de certains partis politiques qui revendiquent son crédo : «savoir donner rien que pour le geste sans attendre le reste». Ainsi, le mouvement politique citoyen Luy Jot Jotna de Cheikh Tidiane Gadio, eu égard à son ambivalence, a compris l’enjeu de la citoyenneté dans le projet démocratique et s’efforce de donner à son parti politique la charge citoyenne qui fait défaut à la politique politicienne.
Le mouvement Tekki de Mamadou Lamine Diallo se réclame de la mouvance politique qui donne libre cours aux initiatives citoyennes. Celles-ci prennent forme hors du jeu politique et posent les problèmes relatifs aux conditions d’existence, c’est- à-dire, au processus de vie réelle comme le souligne Karl Marx dans toute son œuvre, de La Sainte Famille à La Critique du Programme de Gotha en passant par L’Idéologie Allemande et Le Capital.
Les politiques se réajustent
Ce mouvement se caractérise par l’attention qu’il accorde au «Que faire social » quand le politique se focalise plutôt sur la question de la conquête et la conservation du pouvoir. L’esprit de dépassement qu’il a su arborer lors des joutes sur la candidature de Benno atteste de l’épaisseur citoyenne de cette organisation politique. Une telle notoriété de la citoyenneté permet d’opérer le glissement du champ politique au champ civil avec l’animation de mouvements sociaux par des politiques qui laissent à la porte leurs ambitions de la politique politicienne.
A cet égard, la création du mouvement citoyen And Jappo Jëff ci Jamm (convergence nationale pour la paix et le développement) par Mously Diakhaté député et militante de Jëf Jël, montre la forte prégnance que le mouvement citoyen a maintenant dans l’espace public. En vérité, la citoyenneté en s’incarnant dans le corps social, amenuise l’espace politique qu’elle redimensionne dans des proportions plus rationnelles.
Le mouvement citoyen a aussi, fortement contribué à l’éclosion de la candidature indépendante en perspective de la Présidentielle 2012 comme l’illustrent les initiatives du professeur Ibrahima Fall, de l’expert Djibril Ngom, de Madame Fatou Tambedou, de l’homme d’affaires Bruno D’Erneville, du Professeur Amsatou Sow Sidibé avec Car leneen, du chanteur-compositeur Youssou Ndour avec Fekke ma ci boole, de l’avocat Moussa Diop.
Force est de noter que la candidature indépendante est aliénée par le code électoral qui subordonne sa recevabilité à 10 mille signatures. Cette mesure draconienne vient d’être renforcée par un arrêté qui exige la collecte des listes de signatures par circonscription. Un tel ostracisme remet en cause le droit du citoyen de participer à l’expression du suffrage universel. Ledit droit est d’autant plus sujet à caution, que la caution pour la candidature est fixée à la somme exorbitante de 65 millions de FCfa. Plus précisément le droit d’éligibilité tombe en évanescence avec ce caractère censitaire de l’élection présidentielle.
Dès lors, on comprend aisément l’engagement des militants des droits humains comme Alioune Tine et Abdoul Aziz Diop dans l’organisation, la massification et la combativité du M23 qui devient le plus puissant vecteur du combat unitaire pour la sauvegarde de la République, après l’échec de l’initiative politique de Benno Siggil Sénégal qui a butté sur la redoutable problématique de la candidature de l’unité et de rassemblement.
Par Mamadou Ablaye NDIAYE