Urgent, donc tardif
Urgent, donc tardif
PAR ABDOU LATIF COULIBALY
mardi 8 septembre 2009
Comme pris par l’urgence, le président de la République est revenu au pays pour annoncer aux Sénégalais qu’il vient de mettre la dernière main sur deux ouvrages qu’il s’apprête à publier. Tout ce qui est urgent est tardif, dit bien l’adage. Les annonces du chef de l’Etat laissent de marbre les Sénégalais. Ces derniers l’ont écouté, mais ils ne l’ont pas entendu. Car ce que leur a dit le chef de l’Etat est loin de leurs préoccupations du moment. En vérité, le président de la République était occupé en France à autre chose pendant ces derniers temps, le sort des Sénégalais était subsidiaire dans ses activités. Car, comme il le dit lui-même, il s’occupait à mettre la dernière main sur la rédaction de deux ouvrages : l’un pour expliciter davantage sa pensée économique et l’autre pour parler du Panafricanisme.
En réalité, les citoyens de ce pays ont, eux-aussi, d’autres chats à fouetter. En effet, les populations de la banlieue dakaroise se noient dans les eaux de pluies et luttent inlassablement pour ne pas être décimés par toutes ces maladies et autres pathologies qui ne manqueront pas de les frapper. Les autres populations, où qu’elles habitent, qu’elles soient ou non épargnées par les inondations, subissent, stoïques, les affres d’une existence, rendue encore plus douloureuse à supporter par l’indifférence de ceux qui avaient la charge de les soulager.
Et c’est cela le Sénégal sous l’alternance. Les livres que le président de la République va proposer à ses concitoyens, en particulier, et aux Africains en général, sont venus trop tard. Ils l’attendaient de lui alors qu’il était jeune intellectuel, professeur d’économie. En ce temps Abdoulaye Wade avait un boulevard devant lui pour réfléchir, produire une pensée à l’image de Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor et autres grands penseurs du continent. Ceux-là à qui le continent doit beaucoup du fait de leur apport intellectuel dans le cadre de la lutte pour la reconnaissance et l’acceptation de son identité. Xalimasn.com
A 80 ans révolus, on ne produit plus de pensée qui soit tellement porteuse de progrès et d’originalité. On peut qu’en rajouter, la préciser ou la rectifier au besoin. Les livres du président sont peut-être venus tard, à moins qu’il nous propose ses mémoires. Ce serait alors fantastique. Le cas échéant, les livres mériteraient que les peuples s’y attardent. Même laissés à eux-mêmes, souffrant et survivant avec les maigres moyens que leur laissent des politiques qui confondent le sacerdoce qui est le leur avec des sinécures, ils devraient trouver le temps de lire de tels mémoires. Il faut bien l’admettre, ce peuple a autre chose à faire que de participer à une « œuvre » de construction d’une mythologie autour d’un homme aveuglé par une vanité sans mesure qui lui fait croire à l’apogée de son existence qu’il est le centre de l’univers.
Au moment où Abdoulaye disposait de tous ses moyens intellectuels physiques et portaient fièrement la toge du professeur d’université, il n’a jamais proposé aux Sénégalais d’ouvrages à la dimension de son rang. xalima.com. Ce n’est certainement pas, aujourd’hui, à plus de 84 ans passés, qu’il leur fera croire qu’il a enfin rédigé tous les livres dont il nourrissait le secret rêve d’écrire, sans jamais y parvenir. Paradoxe suprême : le penseur est devenu prolixe et fécond seulement au moment où il dispose de tous les leviers de l’Etat et croit pouvoir se payer tous ses désirs, y compris la gloire et le plaisir de publier des livres. Quelle satisfaction ou gloriole peut-on tirer d’une production intellectuelle et la publication d’ouvrages manifestement rendus possibles par un statut et l’aura attachée à une fonction précise, celle de président de la République ? [XALIMA]
Cette question mérite d’être posée aujourd’hui, car elle renvoie à la complexité de l’être même. Et cette complexité n’est pas sans conséquence sur la conduite des charges de chef de l’Etat au Sénégal. On sait bien que la meilleure façon d’entrer dans l’histoire de façon éternelle, ou comme diraient d’autres, le seul moyen de ne pas mourir c’est d’écrire. Il s’agit d’écrire de façon authentique, produire et publier de manière qu’il n y ait pas de soupçon sur l’authenticité de l’auteur et sur sa vraie identité. Or, aujourd’hui, nous sommes nombreux à nous poser des questions sur le temps et les moyens dont dispose le chef de l’Etat pour produire des œuvres scientifiques. Il est pressé par le temps et acculé par ses charges. Le temps de la documentation lui manque.
Celui de la réflexion et l’action également. Tout cela traduit une réalité gênante : si le Chef de l’Etat est l’auteur authentique de ses ouvrages produits coup sur coup, il n’a alors plus de temps pour le Sénégal, ni de réponses pour les questions nombreuses et vitales que lui pose quotidiennement la conduite de charges comme les siennes. Si c’est un autre qui est l’auteur des manuscrits dont il a parlé le jour de son retour, cela voudra dire que le président de la République est comme presque possédé par sa soif inextinguible et insatiable de gloire et d’honneurs. Soif qui l’empêche, en définitive, de voir clair et de bien distinguer le prioritaire du futile dans la conduite de sa mission. On en a la preuve dans cette annonce du chef de l’Etat qui veut croire aux Sénégalais qu’ils ont gagné au change dans la nouvelle approche et nouvelle perspective qu’il ont dessinées pour le Millenium Chalenge Account (MCA).
C’est faux de le prétendre. Le Sénégal a au contraire beaucoup perdu. Les Américains avaient prévu un don de 600 milliards pour construire pour un montant global de 500 milliards la nouvelle ville dite la Plateforme de Diamniadio et pour réaliser la nouvelle autoroute à péage pour un montant de 100 milliards. Le contrat conclu avec une société de Dubaï a tout mis à l’eau. C’est cela la triste vérité. Le rattrapage plus ou moins réussi par le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio pour finalement capter un peu moins de 300 Milliards ne peut pas cacher le désastre dans lequel nous avons été plongés par l’incompétence et l’incurie de ceux qui avaient fait partir les Américains. Aucun numéro de communication si réussi soit-il ne pourra jamais masquer cette terrible vérité. Nous savions avant son retour à Dakar que le Chef de l’Etat nous parlerait du retour du partenaire américain.
La presse avait été largement fuitée par les services de communication du Chef de l’Etat quarante huit heures avant que ce dernier ne quitte son lieu de vacances. Et c’est la raison pour laquelle la presse nationale n’a pas perdu de vue le numéro de communication qui a été joué avec autant de maladresses. La communication ne peut se substituer à l’action dans la conduite des affaires d’un Etat. Elle ne saurait également pallier les insuffisances et manquements graves qui caractérisent cette conduite. Beaucoup de citoyens ont été davantage convaincus par la sortie du Chef de l’Etat.
Abdou Latif COULIBALY
lagazette.sn