Pluviométrie et croissance économique
Il est commun de penser que la croissance du Pib au Sénégal dépend encore très largement de la tenue de l’hivernage. Et, qu’en d’autres termes, le dynamisme économique du pays est fortement sensible au niveau de précipitations recueillies, particulièrement dans les zones agricoles.
Le facteur pluie étant, par nature, exogène, le Sénégal posséderait ainsi, à court terme, très peu de marges de manœuvre pour influencer l’évolution de son Pib ; la seule solution étant pour lui de développer des technologies et techniques agricoles moins dépendantes des pluies (par exemple en promouvant l’irrigation et l’aménagement des bas-fonds et défluents, ainsi que les variétés à cycle court, ou en améliorant la capacité de rétention des sols), tout en diversifiant l’économie.
A cet égard, une étude menée récemment par Barrios-Bertinelli-Stobl (Rainfall and Africa’s growth tragedy, Wider, Université des Nations Unies, Conférence 2005) trouve des résultats fort pertinents. Les auteurs, travaillant sur des séries temporelles, et utilisant un modèle économétrique, découvrent qu’une forte part de la croissance faible enregistrée dans les pays d’Afrique Subsaharienne au cours des trois dernières décennies s’explique, à côté d’autres déterminants endogènes, notamment politiques, par la tendance baissière de la pluviométrie sur le continent. Ceci parce que l’agriculture représente en moyenne, dans ces pays, plus du tiers de l’économie. En revanche, les auteurs trouvent que pour les autres pays en développement, pour lesquels le poids du secteur agricole ne dépasse pas 14% du Pib, l’influence du facteur pluviométrique est peu significative.
Le Sénégal étant un pays africain, il est important de vérifier si les résultats de l’équipe de Barrios s’appliquent pour son économie. En observant la croissance du pays au cours des dix dernières années, il est loisible de constater qu’il y a une certaine corrélation entre la pluviométrie, la production agricole et le Pib, la relation étant beaucoup plus prononcée entre les deux premières variables (l’agriculture sur-réagissant (overshooting) à l’évolution des précipitations). Autrement dit, le Pib du Sénégal, même s’il n’est pas insensible aux variations climatiques, n’en est pour autant pas fortement dépendant.
En effet, parce que l’agriculture ne représente plus que 7,4% du Pib, l’économie possède de réelles capacités pour atténuer et compenser un éventuel choc climatique par le dynamisme du secteur des services (près de 60% du Pib) et du secteur secondaire (environ 20% du Pib). On l’a vu en 1997 où, malgré un recul de la pluviométrie et de la production agricole (-8,6%), la croissance économique a malgré tout atteint 3%. De même, en 2002, n’eût été le comportement des secteurs secondaire (+9,8%) et tertiaire (+4,8%), l’atonie de la croissance du Pib (1,1%) aurait été beaucoup plus prononcée. A contrario, l’économie n’a progressé que de 3,3% en 2008 (selon les premières estimations de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), malgré la forte expansion de l’agriculture (+37,5%). Tout cela est en phase avec les conclusions de Barrios.
Le recul du poids relatif de l’agriculture et le développement concomitant des autres secteurs (surtout celui des services) s’explique. Cumulées à l’abandon des programmes agricoles et à la politique de vérité des prix qui sont désormais ancrés sur les cours internationaux (ce qui a eu pour effet de rendre les prix inélastiques à l’offre agricole disponible), les sécheresses des années 1970 et 1980 ont poussé de nombreux ruraux du bassin arachidier vers les centres urbains (Dakar en particulier) et ces nouveaux migrants se sont reconvertis dans les activités de services (commerce, transport, artisanat). Et, par conséquent, la structure de l’économie sénégalaise a subi une profonde transformation, même si les nouveaux secteurs porteurs demeurent à faible valeur ajoutée (sauf celui des télécommunications qui a crû de plus de 11% en moyenne au cours des trois dernières années).
Le Pib tirant désormais sa source principale du dynamisme urbain, il convient de se demander si l’économie gagne réellement dans une pluviométrie surabondante. Pour apprécier cela, il serait fort utile de mener une étude détaillée sur l’effet de la pluviométrie sur l’économie urbaine et, plus généralement, sur la croissance économique du Sénégal. Le service national de la statistique pourrait la réaliser. A prime abord, on peut simplement relever que le surplus agricole obtenu grâce à une pluviométrie améliorée a, dans les conditions actuelles, toutes les chances d’être contrecarré, en partie ou en totalité, par les désagréments causés par les inondations dans les grandes villes, mal aménagées et mal assainies (on est en train de l’expérimenter terriblement à Dakar ces jours-ci). Ce qui provoque un ralentissement prononcé des activités industrielles et de services pendant et après les journées de forte pluie. La circulation est ainsi restée bloquée, pendant une très longue période, à l’entrée de Dakar, obligeant les voyageurs et les transporteurs à faire de longs et inutiles détours, sans que les autorités gouvernementales et locales n’apportent des solutions à la mesure des enjeux, préférant la nonchalance et la rhétorique au volontarisme. Ceci est d’autant plus inacceptable que la mobilisation du génie militaire et de toutes les ressources disponibles, de jour et de nuit, aurait permis en un ou deux jours de résoudre les difficultés constatées et de lever ce qui s’apparentait à un vrai blocus de la capitale. Et, c’est en même temps un mauvais signal sur l’aptitude du pays à réussir, avec le comportement ambiant, les durs chantiers de l’émergence économique qui sont à tous points de vue similaires à une guerre.
En définitive, la meilleure stratégie pour le Sénégal serait d’accompagner la génération de nouvelles grappes de croissance à haute valeur ajoutée dans l’industrie et dans les services, et de moderniser et d’intensifier son agriculture, pour réduire la dépendance au facteur climatique. Surtout, il urge de mettre en œuvre un programme national d’aménagement du territoire, permettant de faire émerger de véritables pôles régionaux de développement économique et social et de mettre un frein à l’exode rural et à l’émigration. L’urgence, c’est aussi de repenser en profondeur la politique de gestion urbaine, à l’effet de juguler, par des actions hardies d’assainissement, l’impact des fortes pluies et des inondations. Notre pays pourra ainsi faire de la pluviométrie un accélérateur et non un ralentisseur de la croissance économique.
Par Moubarack LO - Président de l’Institut Emergence / lo.emergence@sentoo.sn