La déontologie de la violence
Une réflexion est le plus souvent soumise aux servitudes de l’actualité.La nôtre s’inscrit dans cet esprit. La présence de la violence dans notre société doit réveiller même ceux qui ont renoncé à la méditation. En effet, ces derniers temps (le 18 mars), ma ville natale Vélingara a particulièrement attiré l’attention de beaucoup de citoyens épris de justice et de paix. Une histoire de loisir a plongé le département dans un tourment sans précédent. Biens privés et biens publics furent emportés par la colère des jeunes qui ont ainsi résolu le problème dont ils souffraient (impossibilité de trouver une somme de six millions pour aller en compétition professionnelle), par la violence. En aucune manière, je ne peux manquer, troublé par le spectacle des faits et le mouvement d’idées qu’ils ont suscité, comme tout citoyen, et surtout natif du département et ancien président de l’Amicale des étudiants de ce département, de m’interroger. Amoureux de la sagesse que je suis, je n’ai qu’une passion, c’est celle de la lumière c’est-à-dire la vérité.
Et ici, pour la saisir, il nous faut nous déporter d’abord en tant que républicain, en souvenir de Me Aliou Sow, actuel président du Conseil national de la jeunesse, natif de Velingara, dans le champ juridique et élever ensuite la réflexion à une dignité philosophique.
De prime abord, il faut fixer la définition de cette notion de violence, la garder en mémoire et ainsi commenter les faits, avant de dégager les remèdes et les solutions qui s’imposent.
La violence est l’ensemble des comportements s’imposant par la force qui contreviennent au droit pénal et exposent ainsi leurs auteurs à une peine. Selon notre guide, Yves Michaud, au sens le plus immédiat, la violence renvoie à des comportements et à des actions physiques. Elle consiste dans l’emploi de la force contre quelqu’un avec les dommages que cela entraîne. On peut citer ici, le Professeur Iba Der Thiam nous excusera du défaut de mémoire, les événements de Thies, de Kédougou, de l’université (17 février 2006), de Kolda, où la violence a réveillé chaque localité de son sommeil .Elle ne naît qu’à l’impossible de son contraire. Cette révolte des faits contre le droit a-t-elle un fondement juridique ? A priori on peut dire oui, car lorsque dans une société il y a une polémique, une controverse sur ce que Burdeau appelle l’idée de droit, chacun croit détenir la lumière.
En réalité, la notion de violence comporte deux éléments dont l’un est aisément identifiable (les effets de la force physique) et l’autre plus difficile à saisir (l’atteinte à des normes). Dans l’idée que nous en faisons, la violence est un acte de désobéissance. Or ce qu’on oublie, c’est que, à travers elle, on agite une menace ou on dénonce un péril. Le cas de Vélingara s’inscrit dans ce malaise. Il me semble que la première source de ce phénomène, qui cherche à s’institutionnaliser, est l’injustice. Sous ce rapport, on peut légitimement, et aucun homme de droit ne peut défendre le contraire, détruire le droit pour le reconstruire.Ainsi toute institution doit être au service de la cause du peuple.
Seulement, la violence, qu’on croit être la solution au mal, conduit dans l’univers du mal. En souvenir de Epicure, je constate donc qu’ici : «Personne ne choisit le mal délibérément, mais étant séduit par lui parce qu’il se présente sous la forme du bien, et perdant de vue le mal plus grand qui en sera la suite, on se laisse perdre au piège.»
Ce piège, c’est d’abord la violence institutionnelle puis la violence de la prison. Combien de citoyens ont vécu ce sort ? Ils sont nombreux. Et, le malheur est que cette violence n’obéit à aucune déontologie.
On torture le citoyen selon sa colère et non selon ce que le droit permet. Il y a ici lieu de rappeler à nos forces de l’ordre, que nous aimons tant, qu’il y a une éthique dans tout art dont on est le gardien. Il y a l’art d’exercer la violence sur un citoyen.
On est forcé de reconnaître aujourd’hui, que l’Etat est frappé de plein fouet par cette violence, ce déchaînement de forces qui s’auto-exacerbent par leur propre mise en mouvement. A Vélingara comme ailleurs, cette situation traduit un malaise social et politique. Les excès d’agitation et de contestation qui secouent les fondements du droit et de l’Etat de droit interrogent leur légitimité.
On assiste, sans cesse, à des manifestations qui rendent l’Etat instable et mobile ; la cause est d’ordre politique et social le plus souvent. Et là, la responsabilité du politique est liée.
Lorsqu’on se propose de gérer la matière politique, il faut obéir toujours au dialogue et à ses vertus qui se résument à une finalité, conjurer les discordances dans la société. Sur ce plan, les autorités politiques du département ont failli dans leur vocation.
A vrai dire, les politiques du département (que nous respectons forcément) à l’exception de quelques-uns, sont un vrai obstacle à l’épanouissement physique et intellectuel des jeunes. Les budgets des collectivités locales, que nos connaissons parfaitement, car la sagesse nous interdit de parler sans preuves, sont ficelés dans une orthodoxie exemplaire. Mais dans l’effectivité de celle-ci, les maîtres du jeu (le maire, le Pcr, le comptable public, le préfet ou sous-préfet…) usent de ruse pour se soustraire aux règles de bonne gouvernance. Il y a une gabégie telle qu’on peut désespérer de la probité morale de tout homme politique. A ce niveau, les comptes publics souffrent d’une carence de contrôle que personne n’ignore.
Si l’on faisait cet exercice de façon intègre et équitable, donc républicaine, ce pays-là, serait sorti de l’ornière.
Naturellement, la conséquence d’un tel manquement éthique de cet état de fait, c’est la colère des ayants droit. Cette colère se transforme en malaise social et politique. Et à force de devenir chronique, elle se convertit par la force du destin en chaos.
Donc, a posteriori, la violence que les jeunes ont portée, est exercée sans déontologie. L’Etat de droit doit se soucier toujours de faire transiter l’être humain, l’individu vers sa pleine citoyenneté par l’éducation aux vertus et aux principes de la République.
Une autorité fut-elle politique ou administrative, est aujourd’hui condamnée à obéir à un nouveau paradigme de la modernité ou des sociétés modernes. La maïeutique publique, élément principiel de l’éthique publique. Cette dernière est une recherche de compréhension entre acteurs ; elle permet toujours le vivre ensemble grâce au dialogue, au parler ensemble.
Loin des batailles de conviction, la relation privilégiée est celle où chacun veut contribuer à la dynamique sociale en faisant partager sa vision de la situation, guidé par le désir de voir naître les solutions consensuelles. L’éthique de société exige aujourd’hui que tout ce qui se fait et se décide, se fait et se décide par, pour et avec les catégories concernées. C’est ce péché politique que commettent nos autorités politiques aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale. Or, elles ne savent pas, en vérité, que l’éthique s’actualise chaque jour par la mobilisation de forces intellectuelles et morales pour faire advenir une société plus juste et plus équitable. L’autorité politique ou administrative n’est plus solitaire mais solidaire.
Quiconque tourne le dos à cette maïeutique publique a tourné le dos à la paix et s’expose à la contestation. Contre l’opinion, car je ne m’en nourris point, je reconnais que la violence (pour ce qui est de Velingara) a bel et bien des fonctions appréciables : fonction d’intégration d’un groupe oublié, fonction d’élaboration de nouvelles valeurs, fonction de résolution des tensions et fonction de création de nouveaux équilibres. Elle est en résumé, un moyen de résoudre avec succès conflits et problèmes. Elle permet par ailleurs à notre jeunesse courageuse et à nos politiques (qui soutiennent rarement cette jeunesse) de sceller l’unité et la réconciliation, d’ouvrir une nouvelle mémoire et de tracer un nouveau destin. Face à l’oppression, la résistance devient une nécessité même si l’on peut en mourir.
Chers frères, citoyens debout, dormant à la Maison d’arrêt de Kolda, vous êtes des héros. Quoiqu’il y ait eu des excès dans les actes (je l’avoue) que vous avez posés, nous les assumons ensemble.
L’événement est une leçon pour le maire (que j’invite à l’introspection) et pour les autres hommes politiques tapis dans l’ombre de la gabégie et de la corruption au mépris du peuple souverain. A eux de se préparer, car leur arrive une tempête plus violente s’ils ne changent pas et se convertissent en homme de réflexion, d’action, de solidarité et surtout de dialogue. Le futur nous édifiera sans doute.
Boubacar CAMARA - Doctorant en Philosophie - Ancien président de l’Amicale des étudiants de Vélingara (Aeerdv)