Plus de conciliation que de contrôle
INSPECTEURS ET CONTRÔLEURS DU TRAVAIL : Plus de conciliation que de contrôle
Faute de moyens, notamment de locomotion, les inspections du travail n’ont pu faire des contrôles, au cours de l’année 2008, que dans 437 entreprises sur les 12.000 que compte le Sénégal. C’est peu pour le Syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail et de la sécurité sociale qui revendique, pour plus d’efficacité, plus de moyens et un traitement égal aux autres diplômés de l’Ecole nationale d’administration (Ena).
En ce vendredi, premier jour de travail après la grève de neuf jours précédée d’un sit-in, l’inspection du travail de Dakar est assaillie par un grand nombre d’usagers. Un monde plus important que d’habitude. Au deuxième étage où se trouve le bureau du courrier, des travailleurs et des employeurs sont assis sur des bancs. D’autres se tiennent debout, faute de sièges. « Ce matin, il y a une grande affluence au bureau du courrier à cause de l’arrêt de travail que nous avions observé ces derniers temps », explique Abdoulaye Fall, inspecteur du travail et par ailleurs secrétaire général du Syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail et de la sécurité sociale.
Au bureau 208, le rang est de rigueur pour demander un document ou des informations. La secrétaire, une dame au teint noir, jette un coup d’œil sur les documents, discute avec les usagers, demande le papier manquant ou oriente son interlocuteur.
Récemment, ces travailleurs sont allés en grève pendant plusieurs jours pour réclamer de meilleures conditions de travail et le même traitement que leurs collègues de la Fonction publique sortis, comme eux, de l’Ecole nationale d’administration (Ena).
Avant ce mouvement de grève, peu de gens parmi la masse des travailleurs connaissaient la véritable mission de l’inspection du travail. « Les usagers qui viennent à l’inspection du travail sont les travailleurs qui ont des déboires avec leur employeur, ceux qui ont besoin de documents (par exemple l’immatriculation) pour prétendre aux prestations familiales », renseigne Abdoulaye Fall. Il ajoute que ce constat est valable pour bon nombre d’employeurs. « Seuls les employeurs en quête de certains documents comme les déclarations d’ouverture d’établissement, les attestations de régularité pour soumissionner à un marché viennent à l’inspection », note-t-il.
437 entreprises seulement contrôlées
Avec les grèves de la faim observées par des travailleurs pour réclamer le paiement de leurs droits, beaucoup de Sénégalais se sont interrogés sur l’utilité de l’inspection du travail. « Ces inspecteurs et contrôleurs veillent-ils au respect de la législation du travail ? » se demande cet usager qui a requis l’anonymat. Il est venu à l’inspection après moult hésitations. Son employeur ne respecte pas ses droits les plus élémentaires, soutient-il. C’est pour éviter ces situations souvent dramatiques, explique M. Fall, que les inspecteurs et contrôleurs du travail sont allés en grève. Ils déplorent, entre autres, le manque de moyens, notamment de locomotion, qui réduit inéluctablement le nombre limité d’entreprises contrôlées.
Pour l’année 2008, Ousseynou Aly Khaïridine, statisticien du travail, (il est la mémoire vivante des inspections du travail) révèle que sur les 12.000 entreprises répertoriées au Sénégal, seules 437 ont été effectivement contrôlées, soit 3,6 %. Il ajoute que la situation est plus grave à Dakar qui polarise les ? des entreprises, soit environ 8.000 dont 68 seulement ont été contrôlées, soit 0,88 %. « Ces chiffres montrent que sur 100 entreprises, nous n’avons pu contrôler qu’une seule », se désole-t-il. L’explication est toute simple. « Nous avons un seul véhicule pour effectuer les contrôles », lâche-t-il, désabusé.
Inspection assise
Ousseynou Aly Khaïridine explique que ce faible ratio de visites dans les entreprises vaut à l’inspection du travail l’appellation d’« inspection assise » qui concilie plus qu’elle ne contrôle. Or, le rôle originel de l’inspection du travail, c’est d’aller vers les entreprises. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Environ 900 cas ont été réglés à l’amiable au cours de l’année 2008 contre 526 transmis aux juridictions de jugement alors que cela devait être le contraire. « Malheureusement, comme c’est « une inspection assise » confirmée par ces chiffres, on est obligé de concilier plus qu’on se déplace dans les entreprises », déplore-t-il.
C’est pourquoi M. Khaïridine insiste sur l’importance des contrôles qui ont des incidences sur la prévention des accidents du travail. En 2007, souligne-t-il, les accidents du travail se chiffraient dans la seule région de Dakar à 570 cas répertoriés. Mais avec le peu d’inspections effectuées, les accidents sont passés de 570 à 423. « C’est minime, mais cela montre que les moyens que nous demandons peuvent servir à améliorer la qualité de travail au sein des entreprises et réguler les tensions sociales », argumente-t-il. De plus, les conciliations ont profité aux travailleurs. Ces derniers ont reçu, grâce à ces médiations, plus de trois cents millions de francs Cfa. « C’est « une inspection assise », mais ses interventions ont influé positivement sur le monde du travail par rapport à la régulation de l’action sociale », se console-t-il. Ousseynou Aly Khaïridine précise que plus de moyens aiderait l’inspection du travail à mettre fin aux sources de conflits latents. Cela inciterait également les employeurs, souvent peu soucieux à se conformer aux normes du travail, à respecter davantage la législation en la matière. « Le rôle originel de l’inspection du travail, c’est d’aller vers les entreprises et non le contraire. Si elles viennent pour une conciliation, c’est parce qu’il y a un problème et les parties veulent être départagées », estime-t-il. « S’il y avait des moyens nous permettant d’aller vers les entreprises, on allait recevoir moins de dossiers pour conciliation ».
En plus des moyens, ces fonctionnaires demandent le toilettage de certaines dispositions et la finalisation des textes d’application du Code travail. Il en est ainsi du décret qui doit régir l’intérim. Ils souhaitent également, dans le cadre du renforcement de leurs pouvoirs, que le ministre du Travail et celui des Finances prennent un arrêté interministériel qui organise le pouvoir de sanction des inspecteurs et contrôleurs du travail. « On est en train de réfléchir sur toutes ces questions au sein de notre organisation professionnelle », indique Abdoulaye Fall.
Le secrétaire général du Syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail et de la sécurité sociale estime que le renforcement de leurs pouvoirs de sanction pousserait les employeurs à être plus respectueux des normes du travail et, de ce fait, beaucoup d’emplois seraient ainsi préservés, mais l’Etat également y gagnerait, car en prononçant des pénalités, les fonds seront versés dans les caisses du trésor public.
Mamadou GUEYE