Fesman III et renaissance africaine : A-t-on
Fesman III et renaissance africaine : A-t-on oublié les arbres et les eaux d’Afrique ?
Si je devais adhérer à un parti politique, j’aurais sûrement choisi un parti qui s’emploierait exclusivement à promouvoir la Renaissance africaine à travers toutes ses composantes. C’est dire que je suis fondamentalement pour l’organisation prochaine du Fesman III et je soutiens fortement les différents acteurs ainsi que le thème principal du festival : La Renaissance africaine. Mais voilà que grande a été ma déception quand, en parcourant la liste des thèmes et des sous-thèmes à débattre pendant cette grande rencontre culturelle mondiale, je n’ai rien vu qui concerne nos arbres centenaires et nos forêts sacrées. Je n’ai rien vu qui parle des eaux de nos fleuves et de nos grands lacs. Pourquoi donc ces étendues d’eaux, témoins de tant d’histoires, de contes et de légendes, fondements des valeurs culturelles du peuple noir, ont-elles été laissées en rade ?
Pourtant, l’arbre et la forêt ont toujours constitué l’essence et la quintessence de la culture africaine. L’arbre n’est-il pas le corps du tam-tam, les lamelles du balafon et le bois de la flûte ? L’arbre n’est-il pas l’essentiel des composantes de la kora, du violon et de la guitare ? L’arbre n’est-il pas le masque noir, le masque rouge, le masque blanc et noir que Senghor dans son poème ‘Prières aux masques’ salue dans le silence ? L’arbre n’est-il pas l’arbre à palabre ? Peut-on oublier les forêts sacrées de Casamance, du Bénin et du Gabon ? Peut-on oublier l’arbre à l’heure où la planète Terre se réchauffe dramatiquement parce que, justement, les forêts sont agressées de toutes parts ? Avons-nous le droit de parler de culture sans parler de l’arbre qui a toujours fourni le papier qui sert à fabriquer les livres, les cahiers et les journaux. A-t-on le droit d’oublier le rôle culturel de l’arbre qui nous nourrit et nous soigne depuis l’aube des temps ? Mon Dieu ! Que serait donc le Brésil, parrain du Fesman III, sans la forêt amazonienne ?
En vérité, l’eau, tout comme l’arbre, ne doit pas non plus être oubliée durant ce concert des peuples noirs et de la culture universelle. Peut-on parler de culture en oubliant le Nil, ce fabuleux présent des Dieux sur lequel Pharaon avait le devoir de veiller pour que les divinités fluviales restent bienveillantes ? Hapy était à la fois le Dieu du Nil et l’esprit du fleuve et de l’eau des crues divinisées. Doit-on oublier le Lac Tchad qui se rétrécit comme une peau de chagrin. Peut-on oublier le Lac Nokoué qui abrite le spectaculaire village sur pilotis de Ganvié au Bénin ? Peut-on oublier Mami Wata, la déesse des eaux, et le Ninki Nanka, ce fabuleux serpent sorti de l’Atlantique ? En un mot, avons-nous le droit d’être si amnésiques en ne prévoyant sur le plateau du débat africain du Fesman III, une discussion sur les menaces et autres utilisations abusives qui, en Afrique, pèsent dangereusement sur les étendues d’eau, les arbres, les forêts et la faune sauvage qui sont une fierté économique et culturelle de notre continent ?
Quand l’Europe et l’Amérique nous présentent leurs gratte-ciel, leurs autoroutes et leur riche technologie, l’Afrique pourrait, à son tour, mettre sur la table la valeur culturelle de ses forêts, ses étendues d’eau, ses éléphants, ses gnous et ses zèbres, en un mot sa faune et sa flore qui constituent une biodiversité vitale pour la planète Terre. Le Sommet de Copenhague en parlera à coup sûr !
Ne pas valoriser la fabuleuse migration annuelle des 2 millions de gnous du Parc du Serengeti, ne pas parler de la grande concentration annuelle des oiseaux au Parc du Djoudj au Sénégal, ne pas sonner l’alerte en faveur du Niokolo Koba, ce patrimoine mondial en péril, seraient une grossière erreur historique et une tragique omission !
Quand je lance un appel en faveur des arbres et des eaux dans le patrimoine culturel africain, je voudrais simplement ressusciter un impérieux devoir de mémoire et rappeler qu’en Afrique, sans les arbres et les étendues d’eau, il n’aurait existé ni tradition, ni coutume, ni conte, ni légende. Il n’y aurait pas eu de culture, encore moins d’hommes de culture !
Organiser un Fesman et parler de la Renaissance africaine sans mettre en valeur l’apport culturel de l’arbre de la forêt et des cours d’eau du continent africain, ce serait comme boire de l’eau du puits, en oubliant celui qui l’a creusé !
Moumar GUEYE Ecrivain E-mail : moumar@orange.sn