Crise casamançaise : « les armes » de la paix
Crise casamançaise : « les armes » de la paix, dans la paix et pour la paix.
« Nous avons le pouvoir de construire le monde auquel nous aspirons, mais seulement si nous avons le courage de prendre un nouveau départ, en gardant à l’esprit ce qui a été écrit. Le Saint Coran nous dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. » Le Talmud nous dit : « Toute la Torah a pour objectif de promouvoir la paix. »
La Bible nous dit : « Bienheureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu. » [1]
La crise casamançaise perdure. Le début des années 80 marque le commencement d’un regrettable feuilleton dans l’histoire du Sénégal. Voilà presque trente ans que le crépitement des armes rythme la vie des Sénégalaises et Sénégalais au sud du pays avec son lot de conséquences désastreuses.
Des vies perdues, des générations sacrifiées, des villages dépeuplés, des champs parsemés de mines et une Casamance déchiquetée. A l’aube de cette crise, bien que coïncidant avec notre tendre enfance, on avait bien mesuré, pour diverses raisons, les conséquences de ce drôle de conflit inutile, aveugle et stupide que la raison n’arrive pas encore à expliquer. Cela nous a beaucoup marqué, parce qu’on a grandi avec, même si on ne comprenait pas grand chose sur les agissements des uns et des autres. Plus tard, on a compris que c’est l’intégrité du territoire sénégalais qui est menacé. Un territoire unique et indivisible parce qu’elle est la base fondamentale de notre Unité nationale.
L’actuel président du Sénégal avait promis de résoudre le conflit en cent jours. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 3650 jours et c’est encore le feu et le sang dans la région naturelle de la Casamance. La promesse a été bien respectée. Ce n’est pas en fermant des radios, en saisissant des journaux , en expulsant la correspondante de Radio France Internationale, en emprisonnant des journalistes ou en menaçant d’honnêtes citoyens qu’on fera taire les armes en Casamance [2]. La solution est ailleurs. Salif Sadio, un des chefs militaires du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (Mfdc), a le droit de dire ce qu’il pense dans ce conflit et le Groupe Sud - la Presse en général - a le devoir d’informer les citoyens sur ce qui se passe en Casamance puisque que l’Etat ne veut dire mot sur ce conflit qui ronge économiquement et socialement le Sénégal.
Les déclarations de Salif Sadio ne sont pas plus incendiaires que celles de N’Krumah Sané. Et personnellement, je ne pense pas que c’est l’extradition de Nkrumah Sané, demandée par l’Etat sénégalais à la France, qui ramènera définitivement la paix en Casamance. Cependant, je reste convaincu que pour résoudre la crise casamançaise, il serait plus judicieux d’utiliser les « armes » de la paix avant de penser aux armes de la guerre.
« Celui qui a vaincu par l’épée périra par l’épée » [Jésus de Nazareth] La première « arme », c’est « l’arme 3D », désenclavement, développement et dialogue. Le Sénégal fête cette année le cinquantennaire de son accesion à l’indépendance. Comment peut-on concevoir que durant cinquante ans, l’enclave de la Casamance, située entre la Gambie et la Guinée-Bissau, n’est pas véritablement liée avec les autres régions du Sénégal par des infrastructures dignes à la dimension d’un des poumons économiques du pays. La promesse d’un pont sur le fleuve Gambie a été maintes fois soulevée - surtout à l’approche de joutes électorales importantes - mais elle n’est toujours pas encore concrétisée. Cette infrastructure pourrait être le lien national entre la région de la Casamance et les autres localités du Sénégal.
Le pont, très indispensable, n’étant pas dans la mesure du possible, du moins, pour le moment, l’Etat devait miser sur des infrastructures routières de contournement de la Gambie, bien que la distance devient beaucoup plus longue, pour ne pas donner le sentiment aux Casamançaises et Casamançais d’être des citoyens sénégalais de seconde zone. Si des investissements, à la hauteur de ceux faits sur la Corniche ou sur l’Autoroute à péage Dakar-Diamniadio, étaient consentis sur la voie de contournement de la Gambie, l’enclavement de la Casamance serait un mauvais souvenir. « L’arme 3D » est l’une des voies les plus indiquées pour résoudre ce conflit au lieu de miser sur de « faux faiseurs » de paix. Combien de soi-disant médiateurs et de soi-disant « monsieurs Casamance » ont sucé le sang des soldats, des maquisards, et marché sur le corps de centaines d’innocents pour s’enrichir à partir de ce conflit sans apporter un tout petit début de solution ? Dieu sait qu’ils sont légion. Le sang a trop coulé et la paix n’est toujours pas au rendez-vous. Les échecs successifs des soi-disant médiateurs doivent pousser les autorités étatiques à explorer d’autres voies.
« Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors » [Rabindranath Tagore]
Le désenclavement de la Casamance est intrinsèquement liée à son développement. Nul n’ignore que la Casamance constituait l’un des greniers du Sénégal. Son enclavement et le manque d’infrastructures modernes réduisent son rôle dans le tissu économique sénégalais. Elle pouvait être déterminante dans l’indépendance et l’autosuffisance alimentaires. Si les milliards, dépensés inutilement dans les festivités politiciennes du cinquantenaire et dans des réalisations de priorité inférieure, étaient investis dans la modernisation de la riziculture et l’accroissement des casiers dans la région sud, le Sénégal pourrait gagner en un temps record la bataille de la sécurité et la souveraineté alimentaires [3]. « L’arme » 3D » - désenclavement, développement et dialogue - utilisée dans des conditions optimales et dépourvues de toute récupération politique, résoudra une bonne partie des revendications du maquis. Les autres détails vont être résolus dans le cadre d’un dialogue franc et direct avec les véritables chefs militaires et politiques du maquis pour trouver ensemble la solution à l’équation casamançaise à plusieurs inconnues. Parce que les multiples accords, signés dans le passé entre l’Etat sénégalais et certains leaders politiques du Mfdc, n’ont pas donné les effets escomptés et il ne faut pas reprendre les mêmes erreurs. Le dialogue ne sera pas un dialogue purement politique, mais aussi culturel. Il va inclure nécessairement toutes les composantes de la nation sénégalaise. Les politiques ne détiennent pas la clé de la résolution du conflit. L’aspect culturel, défendu par certaines personnalités, est une composante non négligeable dans la recherche de la paix. L’opposition, la société civile, les cadres casamançais, les intellectuels, les artistes, la diaspora, notamment les natifs de Casamance, les populations de la Casamance, l’Eglise, les chefs religieux et traditionnels, le maquis, l’armée, la Gambie, la Guinée-Bissau, etc. devront jouer leur partition dans la note mélodieuse du dialogue pour qu’on puisse danser un jour la Danse de la paix dans cette contrée du Sénégal.
Après l’usage de « l’arme 3D », il faudrait s’attaquer à d’autres points non négligeables liés à la concrétisation et à la consolidation de la paix. Pour ce faire, il faut fondamentalement faire usage de « l’arme 3R », réconciliation, reconstruction et réinsertion. Le conflit dans l’enclave casamançaise bouclera bientôt ses trois décennies. Durant toutes ces berges, beaucoup de villages ont été rayés de la carte géographique sénégalaise, des milliers de personnes ont quitté, contre leur gré, la terre qui les a vu naître, des centaines de Sénégalaises et de Sénégalais ont perdu l’usage de leurs membres, d’autres ont opté pour le maquis, etc. Ce conflit sénégalo-sénégalais est une erreur parce que certains fils du Sénégal ont cru qu’avec les armes ils pourraient bien défendre leurs idées. Ils ont tort. Le sang appellera toujours le sang. Cette manière de se faire entendre a déchiré la paix multiséculaire de la Casamance, jadis terre de tranquillité. Pour recoller les morceaux de ces années de déchirure, la réconciliation, suivie de la reconstruction et de la réinsertion ne pourront être occultées.
« L’encre du savant est plus précieuse que le sang du martyr » [Mohamed (Psl)]
L’autre « arme », la plus importante, qui clôturera définitivement le processus de paix, c’est l’arme du pardon (l’arme P). Sans « l’arme P », il sera difficile d’accéder à la Paix. Nous replongerons tôt ou tard dans des querelles inutiles et dévastatrices. C’est sans nul doute l’une des étapes les plus délicates et les plus dures dans un processus de paix, mais le jeu en vaut bien la chandelle. La paix n’a pas de prix. Le pardon occupe une place primordiale dans les religions monothéistes et traditionnelles. Et le Sénégal reste et restera un pays de Croyantes et de Croyants, capable de panser les plaies d’hier et de regarder l’avenir avec beaucoup d’espoir et d’espérance. Casamance, la belle, la métissée, la pieuse, ne négligera pas cette donne pour retrouver sa splendeur et sa plénitude d’antan.
Si les « armes » de la paix sont utilisées à bon escient et que le mouvement indépendantiste coopère franchement, l’arme de la guerre n’aura plus sa raison d’être. A contrario, elle restera, malheureusement, une issue pour accéder à une paix durable. Mais à quel prix ? Les armes peuvent faire taire la voix des sécessionnistes armés, mais elles ne pourront pas imposer le silence à la souffrance des populations du Sud du Sénégal. Les va-t’en guerre ont-ils estimé la valeur financière d’une opération de ratissage général du maquis ? L’Etat sera-il prêt à débourser la somme colossale pour l’achat de la logistique, des munitions et tout le nécessaire pour acheter la paix ? L’Etat pourra-t-il réparer les conséquences humaine, économique, environnementale et sociale qui découleront de cette opération militaire, parce que la facture de l’après-ratissage sera plus salée ? Si l’étude d’impact environnemental est nécessaire dans la réalisation de certains ouvrages de grande envergure, une étude d’impact militaro-socio-humano-économico-environnementale serait nécessaire avant la concrétisation d’une telle opération militaire. Les exemples sri-lankais, sur les Tigres tamoul, et russe sur les Tchétchènes ont bien réussi. Toutefois, ils ne suffisent pas pour garantir l’efficacité totale de l’option militaire, car les expériences américaines en Irak prouvent absolument le contraire même si les contextes et les natures des conflits diffèrent. C’est un pari risqué et au finish c’est le Sénégalais qui répandra le sang du Sénégalais. Ce sera encore « du sang, de la sueur et des larmes [4] » dans ce si petit pays, le Sénégal, notre grande Patrie.
Papa Moctar SELANE
Journaliste
selane29@yahoo.fr
www.xalimablog.com/pms
Notes :
[1] Extrait du discours du président américain Barack Obama prononcé à l’Université du Caire (Egypte), le 4 juin 2009
[2] Octobre 2003 : la correspondante de Radio France Internationale (RFI), Sophie Malibeaux, est expulsée du Sénégal. Les autorités reprochait à la journaliste la diffusion d’une interview de l’un des responsables de la rébellion. Le 17 octobre 2005 : l’Etat sénégalais procède à la fermeture de tous les relais dans le pays de la radio privée Sud Fm et saisit la pubublication du jour du journal Sud Qutidien. Les confrères avaient publié et diffusé une interview de Salif Sadio, un des chefs militaires du maquis. La liste n’est pas exhaustive, vous pouvez la compléter....
[3] En Basse Casamance, la production annuelle de riz est estimée à environ 50.000 tonnes. Pendant ce temps, la production de riz dans la Vallé du fleuve Sénégal est chiffrée à 150 000 tonnes par an. Si le pays disposait d’une bonne politique rizicole, ces deux pôles nord-sud pourraient constituer de solides bases pour une autosuffisance alimentaire.
[4] A la Chambre des Communes le 13 mai 1940,durant la Seconde guerre mondiale, le Premier ministre britannique de l’époque, Winston Churchill disait aux Anglais : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ».