Ne faudrait-il pas supprimer le deuxième tour
Dans une contribution précédente nous avons tenté d’analyser la valeur ajoutée démocratique qu’apporterait le second tour aux élections présidentielles dans le contexte du système politique sénégalais marqué par la confusion dans les lignes politiques et idéologiques des partis, par le « blanchiment politique » à travers des coalitions où les bourreaux d’hier sont blanchis en héros d’aujourd’hui et enfin par l’affairisme politique qui se substitue au véritable engagement politique. Nous avons conclu que le deuxième tour n’a pas en soi une valeur ajoutée démocratique. Il est certes un outil très efficace pour réaliser l’alternance au sommet de l’Etat qui est une fin en soi pour tout parti d’opposition mais ne garantit ni la sécurité démocratique des élections ni la qualité du système électoral.
Les partis politiques se substituent aux électeurs pour influencer le résultat du second tour à travers leur agitation et leurs agissements intempestifs autour de négociations et de tractations. Autant l’argent du parti au pouvoir peut influencer l’issue des élections autant le bruit assourdissant des « sabarous pote » des opposants coalisés peut aussi influencer les électeurs sans les convaincre. L’électeur est victime d’une influence extérieure qui remet en cause sa liberté et sa responsabilité, ce qui risquerait de favoriser la substitution de la volonté des partis à sa souveraineté. La qualité et la sécurité démocratique d’un suffrage supposeraient des électeurs et des partis politiques libres et responsables trempés dans l’éthique politique.
Ce qui reste clair et incontestable, c’est que le second tour peut être le lieu et le moment de calculs politiciens de tous ordres, en dehors de toute éthique politique, pour faire partie des chanceux qui vont partager le gâteau du pouvoir après le pari sur la victoire du candidat élu, surtout dans notre pays où la référence idéologique et programmatique est considérée comme anachronique. BENNO et la coalition SOPI sont des cadres où le dénominateur commun est d’être pour ou contre le pouvoir sans aucune forme de références politiques et idéologiques identitaires. Les partis politiques ne doivent pas se cacher derrière des coalitions pour engranger des mandats législatifs ou présidentiels qui ne correspondent pas à leur force et à leur influence réelle. C’est une question d’éthique politique ! Ils ne doivent également pas mettre leurs intérêts devant l’intérêt national. Les partis d’opposition d’aujourd’hui seront les hommes du pouvoir de demain et vice versa. Il nous faut donc concevoir, en dehors de toute considération partisane, un code électoral conforme aux exigences de l’intérêt général, donc qui prend en compte la qualité et la sécurité de l’expression démocratique du suffrage.
Une élection présidentielle c’est le choix d’un homme et d’un programme. La personnalité du candidat et la pertinence de son programme doivent être les seuls critères dominants qui orientent notre vote, surtout que nous sommes dans un régime présidentiel où le pouvoir est incarné par un homme, le président de la République, et non par un groupe d’individus ou de partis politiques. La constitution le reconnaît et le dispose comme tel. La différence de l’élection d’un président de la République par le cinquième ou les deux cinquièmes de la population ne serait pas qualitative mais uniquement quantitative. L’élection en 2000 ou la réélection en 2007 de Me WADE par une majorité électorale distincte n’a pas apporté fondamentalement de différence qualitative dans la gouvernance du pays. Les protagonistes du second tour opposent à sa suppression l’argument de la majorité électorale ou de la représentativité du candidat élu mais ne tiennent pas compte de l’économie des deniers publics et surtout de la qualité de l’expression démocratique du suffrage universel direct dans les conditions politiques et culturelles de notre pays.
Nous soulignons que le second tour qui n’existe pas dans tous les systèmes électoraux n’est pas une nécessité démocratique. Personne ne peut contester que le système parlementaire allemand à un seul tour est parmi les systèmes électoraux les plus démocratiques du monde. Il permet l’alternance et une majorité électorale en favorisant les coalitions après les élections mais pas avant, lorsque chaque parti ou groupe de partis ait prouvé sa représentativité. Par conséquent, les véritables questions dignes d’être posées demeurent la représentativité des partis politiques pris individuellement sans laquelle le financement des partis politiques et la désignation du Chef de l’opposition resteraient problématiques.
La suppression du 2e tour aux présidentielles et du scrutin majoritaire aux législatives et aux locales apporte des réponses adéquates à ces questions. Les coalitions vont se former désormais après les résultats électoraux où la représentativité des partis et de leurs candidats ne fait plus aucun doute. La représentativité et la légitimité du personnel politique qui va diriger le pays est assuré par une coalition de partis et de candidats dont les voix correspondent au moins à 51es suffrages exprimés. Le candidat du parti qui jouit de la confiance de la majorité des électeurs à l’issue du scrutin à un seul tour, en totalisant le plus grand nombre de votes, aura le privilège de former la coalition gouvernementale. Cette majorité gouvernementale doit être reconnue et consacrée par une disposition constitutionnelle.
La coalition n’est plus une coalition « yobalema » mais une coalition digne, réelle, légale fondée sur l’éthique politique et sur une représentativité populaire incontestable des partis qui la composent. Le pouvoir législatif comme celui de l’exécutif seront exercés par une coalition de partis ou de candidats dans la transparence sous un contrôle mutuel et sous la protection de la loi. La coalition ne dépend plus de la volonté du président élu pour résoudre des problèmes politiques mais elle jouit d’une caution légale qui garantit l’autonomie et la liberté des acteurs en face. L’action gouvernementale et législative est enrichie par la diversité des visions, des opinions, des styles et des tempéraments des leaders engagés dans les coalitions dans le cadre de l’instauration du scrutin proportionnel aux législatives et d’un premier tour unique aux présidentielles. L’éclatement du pouvoir exécutif et législatif consécutif à la suppression du 2e tour et du scrutin majoritaire requière cependant un renforcement des pouvoirs du Président de la République pour prévenir des blocages et des inefficacités opérationnelles. Il s’agit de maintenir un régime présidentiel fort au détriment d’un régime parlementaire qui est une vue de l’esprit dans cette configuration politique. Autant l’avènement du socialisme et du régime parlementaire est viable dans un pays développé, autant leur application dans des pays sous développés et pauvres en proie à des forces centrifuges est irrationnelle.
Au total, la suppression du 2e tour aux présidentielles et du scrutin majoritaire aux législatives et aux locales, au delà de l’économie des deniers publics, favorise les équilibres politiques, la promotion des petites et moyennes formations mais aussi l’assainissement du terrain politique, la désignation d’un chef de l’opposition, la visibilité et le financement des partis politiques, le redressement éthique et moral de la classe politique, l’égalité des chances des candidats en compétition et enfin permet l’émergence d’une majorité électorale et la réappropriation de la souveraineté électorale par les électeurs, donc la possibilité de ces derniers de se choisir la personnalité et le programme du président de la République en dehors de tout choix unique qu’une coalition de partis leur impose, tandis que son maintien, qui n’apporte pas de valeur ajoutée à la qualité démocratique des scrutins, ouvre la voie à des coups d’Etat politiques possibles dont le soubassement ne serait qu’un désir incontrôlé et inavoué de partager les délices du pouvoir en favorisant l’instabilité gouvernementale c
ausée par des querelles de partage de pouvoir. Ne faudrait-il pas donc supprimer le 2e tour ?
Dr. Abdoulaye TAYE
Enseignant à l’Université de Bambey
Président National de TGL (voir tôt, voir grand, voir loin)