Il n’y a pas de quoi esquisser des pas de dan
Revalorisation de la fonction enseignante : Il n’y a pas de quoi esquisser des pas de danse
Les quelques députés présents à l’Assemblée nationale, lors du passage du ministre de l’Education pour défendre son projet de budget, ont bien rigolé des propos du ministre Kalidou Diallo. Ce dernier, répondant aux questions des députés, entre autres, sur le retard enregistré dans le paiement des salaires des enseignants, a longuement disserté sur l’ingratitude et l’impatience des enseignants grévistes, trop enclins à arrêter le travail à la moindre occasion. Non content d’avoir banalisé le retard de paiement des salaires, notre ministre, comme pour narguer ceux qui étaient ses collègues, disait, sourire aux lèvres, sur un ton sarcastique à peu près ceci : tous ces enseignants que vous entendez râler, manquent de reconnaissance parce qu’on a sensiblement amélioré leurs salaires ; il leur arrive de ’... s’enfermer dans leur chambre pour esquisser des pas de danse lorsqu’il y a de bonnes nouvelles’. Ce qui a fait rire ces politiciens peu soucieux du sort des enseignants qui se tuent à la tâche pour l’amour du métier.
Je pense surtout aux enseignants de brousse qui, entassés avec leurs élèves dans des abris provisoires, dans des conditions de travail difficiles, réussissent des performances sans reconnaissance de la nation. Cette année, dans le département de Tivaouane, plus précisément à Thilmakha, deux maîtres de Cm2, qu’on me permette de citer leurs noms pour leur rendre hommage, M. Ndiaye et M. Namora, ont fait 100 % à l’entrée en 6e. L’année dernière, le meilleur élève de la région de Thiès venait d’ailleurs de la même école, où une équipe pédagogique dirigée par le directeur, M. Ngan, au titre de leurs compétences professionnelles, guide et dirige les activités d’apprentissage des élèves, visant l’acquisition de connaissances, d’attitudes et de savoir-faire stipulés par un programme d’études défini.
Quand on parle du comportement des enseignants, pour les traîner dans la boue, on s’abstient souvent de faire référence aux sentiments, notamment le désir irrésistible qui anime encore beaucoup d’entre nous, émanant tant du cœur que du cerveau, d’aider les jeunes à surmonter leurs faiblesses naturelles, de dissiper toutes les formes d’ignorance. Il est vrai que certains pédagogues pensent que les sentiments n’ont pas de place dans notre métier, mais l’aspect humain est un facteur clé de l’enseignement, où la compassion n’est pas une simple affection, c’est ’une réaction émotionnelle à l’ignorance des jeunes qui suscite chez l’enseignant un désir de lutter, d’y substituer la connaissance et d’établir l’ordre et la certitude dans l’esprit des élèves chaque fois qu’il y règne manifestement le chaos et le doute’. Cette remarque est celle de deux praticiens américains, James M. Banner et Harold C. Cannon dans leur ouvrage intitulé L’art d’enseigner.
Ils sont nombreux encore à choisir de rester dans l’enseignement pour gagner honnêtement leur vie, tout en assouvissant leur passion : la classe demeure un ‘gai plaisir’ pour beaucoup d’entre nous. Les exigences du métier, le coût physique et affectif font que l’enseignant n’est jamais suffisamment payé. On doit d’ailleurs cesser de penser que les enseignants ne sont intéressés que par l’argent.
Ce qui est frustrant, c’est le mépris du ministre qui passe par son comportement, pour l’ennemi des enseignants. Les sarcasmes des députés et le trait mordant d’ironie du ministre n’honorent pas du tout l’Institution.
Nous savons que, dans la vie, il n’y a que des postures : le discours de Kalidou Diallo, instituteur de brousse, celui du professeur d’histoire et celui qu’il tenait en tant que syndicaliste, lorsqu’il sollicitait les voix de ses camarades du Sudes pour succéder à feu Iba Ndiaye Diadji à la fin de l’intérim qu’il assurait en avril 2004, ne peuvent être identiques à son discours de ministre. Seulement, quelle que soit la posture, on ne doit jamais forcer sa nature et on n’arrivera jamais à asseoir son autorité avec une apparence revêche ou en cherchant à ridiculiser ses administrés. M. Diallo, s’il est resté enseignant, doit savoir que l’aigreur misanthrope autrefois associée à notre métier n’est plus de mise aujourd’hui. Un enseignant doit - c’est du moins l’opinion générale - être aimable, si ce n’est charmant. Après ces quelques conseils adressés à notre ministre et à son conseiller en communication s’ils me le permettent, ce que je veux bien rappeler à mes collègues, c’est d’avoir le souci constant de l’avenir de chaque élève ; malgré les résistances des élèves, les plaintes des parents et les critiques de la collectivité dans son ensemble, nous devons concentrer tous nos efforts sur les intérêts bien compris des jeunes dont nous avons la charge.
Bira SALL Quartier Ndoutt Tivaouane Professeur de Philosophie Au Lycée de Thiaroye sallbira@yahoo.fr