PARITE OU ELECTORALISME ?
PARITE ET COMPETENCE DES FEMMES – DES QUESTIONS ET DES REPONSES POUR EN FINIR AVEC L’HYPOCRISIE SEXISTE
Écrit par Fatou Kiné CAMARA
Mardi, 20 Avril 2010 14:47
QUESTIONS
1. La question de la compétence est automatiquement posée dès que l'on parle de faire accéder les femmes aux instances de décision. Pourquoi la question de la compétence des hommes ne se pose t’elle jamais ? C'est pourtant elle qui s’impose en premier puisque la massification qui inquiète quand il s'agit de femmes opère depuis les indépendances au profit des hommes avec les résultats catastrophiques que l'on connaît sur le plan du développement humain et économique.
2. De quelle compétence parle-t-on ? De la compétence à servir ou de la compétence à se servir ? En attendant que l’éducation inculquée aux filles aux garçons évolue vers plus d’équité, quel genre est plus à même de gérer la cité et de prendre en compte les besoins de tous et toutes, des plus petit-e-s aux plus âgé-e-s, des plus vulnérables aux plus pauvres ? Les femmes que la répartition sociale des tâches a accoutumé dès le plus jeune âge à prendre soin des autres ou les hommes à qui la construction sociale apprend qu'ils sont les maîtres, qu'ils existent non pour servir mais pour être servis et bien servis par leurs soeurs d’abord et leur-s épouse-s ensuite ?
3. A incompétence égale : qui est mieux à même d'être sensible aux questions de santé en général et de santé de la reproduction en particulier ? Les femmes qui sont les seules à passer la journée et la nuit dans les hôpitaux dès qu'un-e proche est malade ou les hommes qui ne font que passer lorsqu'ils ne se trouvent pas eux même sur le lit d'hôpital (où une femme veille constamment à leur chevet) ? Qui est mieux à même de comprendre la peur de la grossesse indésirée, la nécessité de maîtriser ses fonctions de reproduction ? Celle qui risque de mourir en couches, subir une fistule, être jetée à la rue et couverte d'opprobre car sa grossesse est socialement inacceptable, .... ou celui qui a en toute légalité le droit de dire : « cet enfant n'est pas le mien !» Un droit de rejeter l’enfant renforcé par l'interdiction de recherche judiciaire de paternité naturelle.
4. La sagesse de nos ancien-ne-s n’a-t-elle pas qualifiée de bénéfique et source de prospérité la présence massive des femmes dans les instances de décisions ? (cf. Ismaël Lo dans sa chanson Jigéen : « Jigéen ay su ñu asamaan fu ñu xiinul du taw » ; « les femmes sont nos nuées, il ne pleut pas là où elles ne sont pas assemblées en masse » ; « jigéen ku leen sooraaléwul di nga yekk ñamu mbaam », « Les projets à l’élaboration desquels les femmes n’auront pas été associées seront juste bon pour la poubelle. »).
5. Une massification des femmes ne va-t-elle pas plutôt changer la manière dont la politique se fait, tout en obligeant les hommes politiques à enfin prendre en compte dans leurs discours et programmes les questions qui importent pour « l'électorat féminin » ? Quel homme politique parle de la violence inouïe contre les femmes ou s’élève contre les propos sexistes que l’on entend quotidiennement dans la rue et dans les médias, sous couvert de message religieux ou culturaliste. Qui, dans la classe politique, dénonce la banalisation des discours fondés plus ou moins implicitement sur le principe de l’infériorité de la femme ? Ne fait-on pas comme si la hiérarchie des sexes était moins condamnable et moins dangereuse dans ses conséquences que la hiérarchie des races ? Alors que, de ce point de vue, les viols, y compris les viols conjugaux, peuvent être assimilés aux lynchages par lesquels, dans les Etats-Unis des années 50 et bien avant, le Sud raciste faisait savoir et imposait aux Noirs, par la terreur, leur place subalterne dans la société. Quel homme politique est entré en campagne contre les mariages précoces, les mariages forcés, les répudiations (autant d’actes interdits par le Code de la famille mais non sanctionnés dans le Code pénal) ? Quel homme politique a publiquement condamné le harcèlement sexuel dans les entreprises, dans les administrations, dans les établissements scolaires et universitaires ? Quel homme politique s’est élevé contre l’interdiction, sous peine d’emprisonnement, de l'interruption volontaire de grossesse avec comme conséquence les infanticides - l'avortement des femmes pauvres, les femmes riches ayant les moyens de se faire avorter en clinique ou à l'étranger ? Quel homme politique a fait le lien entre le besoin de développer les sources d'énergie alternatives ou renouvelables et la santé des femmes mise en danger par la fumée du charbon de bois ? Quel homme politique a fait le lien entre l’autosuffisance alimentaire et l’accès des femmes à la terre (les femmes étant les premières responsables des cultures vivrières) ? Quel homme politique sait ou dit que la féminisation du sida, en Afrique en général et au Sénégal en particulier, est une conséquence directe des lois discriminatoires qu’elles subissent ?
LES REPONSES
Arrêtons de parler de la compétence des femmes (à moins que l'on ne pointe du doigt en même temps l'incompétence des hommes à gérer, sans les femmes, ce pays) et proposons de manière concrète les critères d'évaluation de la compétence de l'élu-e et de la personne nommée (préfet-te, ministre, commissaire, gouverneur-e, ambassadeur-e...). Et ne laissons pas ces critères être déterminés par un homme ou par les appareils masculins des partis politiques (cf. La fable du renard et de la cigogne de Jean de la Fontaine).
Disons clairement ce que nous voulons en établissant des critères précis pour les hommes comme pour les femmes.
Par exemple, nous pouvons dire que nous voulons dans les conseils ruraux : des agriculteurs (premiers responsables des cultures de rente telles que l'arachide) et des agricultrices (premières productrices de cultures vivrières donc responsables de notre autosuffisance alimentaire) , des éleveurs et des éleveuses, des pêcheurs et des transformatrices des produits de la pêche (poisson séché, yéet, ... qui sont des produits d'exportation fort appréciés dans la sous-région), des transformatrices de céréales locales à forte valeur ajoutée et des productrices de produits locaux à plus value (jus de fruits locaux, pâte d'arachide, huile de palme, beurre de karité, couscous séché, fruits locaux séchés....), des artisans et des artisanes créatrices de produits de luxe et de produits de grande consommation (teinture cuup, couture, broderie – cf. la broderie de Ngaay, coiffure - tresses africaines qui sont de véritables œuvres d'art, ...).
Nous pouvons dire que nous ne voulons de ces personnes que si elles savent couramment lire, écrire et parler en français (comme c’est exigé de tout-e candidat-e à l’élection présidentielle par l’article 28 dernier alinéa de la Constitution). Mais alors, on pourra nous faire l’objection suivante : « A quoi sert-il de reconnaître dans notre Constitution des langues nationales ? » (c’est-à-dire « toute langue nationale qui sera codifiée » article 1er alinéa 2 de la Constitution du Sénégal, la codification de la langue servant justement à uniformiser sur toute l’étendue du territoire l’alphabet servant à sa transcription). Sachant que les femmes, plus que les hommes, sont alphabétisées dans nos langues, on peut valablement s’interroger sur la non diffusion des statistiques genre en matière d'alphabétisation dans les langues nationales.
Nous pouvons aussi exiger d’avoir comme représentant-e-s dans les conseils ruraux, municipaux et régionaux des femmes et des hommes qui ont le certificat d'études, le BFEM, le BAC ou BAC + 2, 3 ou 5 ans, ... même si ils/elles ne connaissent rien à la terre, au bétail, aux techniques d'irrigation, aux technique de séchage du poisson, à l'artisanat et à ses besoins. Mais demandons-nous alors si capitaliser le savoir de ces hommes et de ces femmes analphabètes en français ne passe pas par l’octroi du statut de langues officielles à nos langues nationales codifiées. Cela impliquerait, entre autre obligation (gage de réelle démocratie, de transparence et de bonne gouvernance), de mettre à leur portée, dans ces langues, tous les textes juridiques, mais aussi scientifiques, qui régissent leur domaine d'intervention.
On le voit, la question de la compétence est une question vaste alors arrêtons de ne la poser que lorsqu'il s'agit du DROIT des femmes à accéder en parité aux instances de décision (article 9 du Protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, adopté à Maputo le 11 Juillet 2003, signé par le Sénégal le 26 décembre 2003 et ratifié par notre pays par la loi du 02 Décembre 2004, les instruments de ratification ayant été déposés le 27 Décembre 2004)
Pour finir ce long « plaidoyer » (et je remercie celles et ceux qui l'ont lu jusqu'à la fin), une anecdote : une consoeur m'a racontée cette histoire vraie - Elle a accompagné un projet qu'une ONG étrangère voulait implanter dans un village ; les initiateurs du projet sont venus avec l'intention de bâtir une école : les hommes du village ont dit qu'ils voulaient une salle de réunion. On a alors coupé la poire en deux : le bâtiment serait une école dans la journée et une salle de réunion le soir. On a demandé aux hommes de quoi d'autre ils avaient besoin, ils ont dit « une télévision ». A la même question les femmes ont répondu qu’elles optaient pour une machine à moudre le mil. Dans un comité de gestion de ce projet non paritaire, quelle revendication va l'emporter à coup sûr d'après vous ?
Avec mes amitiés à tous et toutes et un grand MERCI AU PRESIDENT WADE POUR SA DECISION HISTORIQUE. SI LA PARITE EFFECTIVE EST MISE EN PLACE IL AURA MARQUE SON EPOQUE, SON PAYS ET L’AFRIQUE POUR LES GENERATIONS A VENIR. Ku def lu réy am lu réy !
Fatou Kiné CAMARA,
Docteure d’Etat en Droit
Secrétaire générale adjointe AJS
Association des Juristes Sénégalaises
Membre du COSEF
Conseil Sénégalais des Femmes
PARITE OU ELECTORALISME ?Écrit par Kadialy Gassama
Mercredi, 21 Avril 2010 14:06
Les conventions internationales relatives à l’élimination de toute forme de discrimination, notamment, des femmes, ainsi que le protocole additionnel de la charte Africaine des droits de l’homme et des peuples sur les droits civils et politiques des femmes quant à la plénitude de leur exercice ne doivent pas être utilisés par le gouvernement du Sénégal pour réaliser des objectifs électoralistes. La stratégie qui consiste à appâter l’électorat féminin par l’adoption de lois mécaniques sur l’égalitarisme numérique sans la réalisation des conditions préalables relève, véritablement, d’un populisme malsain. La volonté politique de promotion des femmes par l’application des dispositions pertinentes des conventions internationales ne réside pas dans l’instrumentation et l’adoption de lois faciles pour apparaître comme le protecteur des femmes vers le seul but de recueillir leur suffrage, mais, elle doit s’inscrire dans la perspective d’éducation et de renforcement des capacités des femmes afin de permettre leur émancipation civile et politique. Mieux, nous devrons faire en sorte que les femmes dans nos sociétés Africaines encore sous les stigmates de la féodalité puissent se libérer et occuper des positions politiques et sociales prééminentes selon leur cursus honorum en faisant de la discrimination positive afin de résorber le gap et, pourquoi pas, à terme, non pas se limiter à l’évocation d’une parité superflue, mais, permettre une représentation majoritaire démocratique selon leur poids démographique. Notre charte fondamentale consacre déjà l’égalité des citoyens quelque soit le sexe, la race, l’ethnie ou la religion partout dans notre existence civile ou politique. Aussi vrai qu’il faille lutter contre toute forme de discrimination contre les femmes et promouvoir le principe universel d'égalité des citoyens, il ne faudrait pas tomber dans le travers en discriminant les hommes par l’imposition d’un système arithmétique de cotation fut-il paritaire ou non. Le système de quota reste en effet rétrograde, non valorisant et anti- démocratique ; il est à la limite un système réactionnaire qui s’éloigne de la lutte pour l’émancipation des femmes .L’émancipation des femmes, dans le contexte de nos sociétés Africaines encore semi féodales qui consiste à enlever les obscurantismes en élevant le degré de consciences des masses populaires constitue l’enjeu principal. Si bien qu’il existe une nette différence entre la lutte pour l’émancipation des femmes et l’égalitarisme genre qui s’apparente à un corporatisme pour l'occupation de positions électives évidentes. Angéla Markel de l’Allemagne, Hélène Johnson Sirleaf du Libéria ou Michelle Bachelet du Chili ou encore Christina Fernandez de l’Argentine n’ont pas été élues chancelière ou Présidentes parce d’abord elles sont femmes ; de même que les positions occupées par des femmes émérites à la tête de partis politiques ou de syndicats à l’image de Martin Aubry, de Sogolène Royale ou de Rabiatou Sarah Diallo de la Guinée ont été l’aboutissement d'un long processus de combat démocratique et personnel avant tout. C’est dire qu’il ne faudrait pas confondre le combat à mener pour donner à la femme le statut qui doit être le sien et les compétions politiques et sociales pour la dévolution démocratique du pouvoir dans les organisations.
En réalité, la volonté du Président Wade s’inscrit dans l’objectif d’être réélu par les femmes pour un troisième mandat comme si le peuple Sénégalais serait divisé entre le parti des femmes et celui des hommes. C'est ainsi d'ailleurs dans la suite logique de la suppression du quart bloquant dont le maintien aurait empêché son élection au premier tour et la tentative récente de suppression du deuxième tour ainsi que l'interdiction de publication en temps réel des résultats des élections, que le candidat Président envisage d'instaurer la parité sur les listes électorales des partis politiques pour les mêmes objectifs de conservation du pouvoir par la modification unilatérale et constante des règles du jeu. Puisque ces modifications relèvent de la matière électorale commune, ledit projet, même s'il s'agit de la représentation genre devrait obéir préalablement à un processus de dialogue inclusif avant qu'il ne soit traduit en loi. Toutefois, une chose est de voter une loi, une autre chose est de procéder à son application du fait de l'existence de facteurs bloquants objectifs.
Au surplus, notre charte fondamentale d'une force juridique supérieure proclame le principe d'égalité des chances et de justice qui est une notion intégrative et plus large et va plus loin qu’une réglementation paritaire superflue pouvant être contre productive à terme pour les femmes .Il y'a lieu de se poser la question pourquoi dans les sociétés avancées la question de la parité ne se pose pas?