Mon pays fait rêver malgré tout
Oui, le Sénégal va mal. Et nous le savons bien.
Du sommet de l’Etat jusqu’au plus faible maillon de la chaîne sociale, il y a des choses à dire et surtout à critiquer. On n’arrêtera pas de si tôt d’épiloguer sur l’incompétence notoire de nos dirigeants et leur boulimie insolente du pouvoir. On ne s’ennuiera pas vite de palabrer sur les tares de la population et leurs comportements à la limite incompréhensibles.
Lorsqu’on se plait d’égrener ce qui nous semble être des défauts de nos frères et sœurs restés au pays, on en vient à déduire que le Sénégalais est un individu complexe sur bien des facettes et insaisissable à bien des égards. Des maux partagés entre la jalousie, l’inertie délibérée, l’hypocrisie manifeste, le zèle confrérique, la recherche effrénée de la facilité, le suivisme aveugle derrière tout vendeur de rêves, etc. font dire à beaucoup que le pays, au-delà des carences de ses leaders politiques, souffre d’abord de l’état ankylosé de la mentalité de nos compatriotes.
Les immigrés qui partent en vacances au Sénégal reviennent toujours avec des réquisitoires qui vous donnent le tournis et enlèvent toute lueur d’espoir quant à l’avenir de cette Nation.
Peu importe les raisons qui nous poussent à l’immigration, le contact permanent avec une autre culture nous amène indéniablement à une remise en question profonde de nos propres valeurs sociétales. Certains comportements quotidiens et diverses attitudes fréquentes que nous avons idéalisés jadis tombent ainsi de leur piédestal. Aussi on sera plus virulent lorsqu’arrive le temps de fustiger certaines pratiques rébarbatives et qui sont malheureusement ancrées dans l’inconscient collectif. Cette distanciation critique nous est possible, car chaque nouvelle prise de position est en partie faite sur la base d’une comparaison entre le pays d’origine et la terre d’accueil. On rêve, par exemple, de voir la Justice être appliquée comme cela se passe dans le pays où l’on séjourne. De même, on prie pour que les richesses soient mieux réparties entre les riches et les pauvres et que la grande majorité de la population puisse accéder au minimum vital.
Mais il y en a de ces évènements qui surviennent dans la vie et qui vous ramènent littéralement sur terre. Les discours radicaux se retrouvent ainsi définitivement édulcorés et l’on se demande si la cohabitation avec le Blanc ne nous pousse-t-elle pas, hélas, à ne voir que le côté négatif de nos peuples et à penser que tout doit être changé dare-dare ? Si nos sociétés devenaient aussi développées que celles des Blancs, ne serions-nous pas exposés à des vices qui sont souvent pires que la pauvreté?
Une collègue québécoise partie au Sénégal dans un village sérère à quelques encablures de Thiès en compagnie d’un groupe d’adolescents montréalais est revenue toute subjuguée par tant de générosité, d’hospitalité, d’humilité et de bonne humeur de la part des Sénégalais. Elle se demandait, la voix étreinte par l’émotion, comment ces campagnards qui manquent de tout - matériellement- arrivent à maintenir la joie de vivre et à garder le sourire aux lèvres. Une attitude qui contraste surement avec celle de beaucoup d’Occidentaux qui, malgré le confort matériel et la sécurité financière restent fragiles intérieurement et vivent un profond mal-être. Les jeunes qui ont laissé derrière eux Ps3, Xbox, Ipod et autres gadgets électroniques sont revenus revigorés psychologiquement au contact de ces valeurs d’humanité auxquelles ils n’ont pratiquement jamais été exposés.
Avant leur départ, je m’inquiétais surtout sur les éventuelles critiques relatives à la misère de la population. Mais grande fut ma surprise lorsqu’on me jetait à la figure ces aspects de ma culture qui me paraissaient pourtant sans grande importance. Il m’arrivait même de penser qu’ils sont à l’origine de notre sous-développement. Ainsi, me disais-je, tant qu’on ne tourne pas le dos à la récupération des réussites individuelles, les paresseux demeureront toujours pendus aux basques des autres. En effet, c’est parce que beaucoup savent qu’ils seront aidés par leurs parents -proches ou éloignés- qu’ils refusent, par conséquent, de faire grand chose de leurs dix doigts. Alors, pour moi, solidarité excessive rimait avec pauvreté.
Ce groupe d’Occidentaux qui découvrait ainsi l’Afrique dans toutes ses facettes n’avait plus envie de quitter les cases de paille, les champs cultivés avec des outils rudimentaires, et surtout cette chaleur humaine qui vous attire tel un aimant et vous contamine de façon inexplicable. «Vous êtes chanceux d’avoir une société pareille», ne cessaient-ils de me répéter. Moi qui pensais qu’on était tellement malheureux, au Sénégal, au point de quitter notre pays par centaines de milliers et d’aller à la recherche de ce bonheur sur terre dans les pays occidentaux, devrais-je changer mes schèmes de perception de ce qu’est le bonheur ? Le développement, tel que nous l’entendons présentement, peut-il aller de pair avec la conservation de certaines valeurs spécifiques à un pays ? Va-t-on vers la perte de ce qui fait notre identité lorsqu’on aura connu le développement ?
Les arguments et les points de vue peuvent diverger de part et d’autre, toutefois je pense qu’au-delà de nos critiques et autres diatribes qui s’expliquent par notre envie commune de voir les choses s’améliorer, nous devons de temps en temps nous pencher sur ce qui nous différencie des autres et qui fait rêver d’autres sociétés.
A l’ère de la mondialisation, nous tendons de plus en plus vers une uniformisation de la culture et les pays pauvres risquent de voir leurs us et coutumes phagocytés par ceux des sociétés dominantes. Pour qu’un pays prenne son destin en main et atteigne, à terme, le développement, il faut, au préalable, cultiver la fierté patriotique et la célébration des spécificités culturelles. C’est ce qui pousse au dépassement de soi et au refus de rester à la traine. Des pays tels que la Chine, l’Inde, la Malaisie, etc. illustrent parfaitement cet état de fait. Alors, sans renoncer à la critique constructive, nous pouvons bel et bien concilier ouverture et enracinement.
Lamine NIANG / nianlamine@hotmail.com