Wade ou la quadrature du cercle
Wade ou la quadrature du cercle
Depuis mars 2007, dernière consultation électorale présidentielle, notre pays semble vivre une situation d’exception. Pour rappel, les résultats de ces élections furent accueillis par un vaste rejet, une consternation diraient certains, parce que consacrant le plébiscite d’un homme donné perdant au premier tour ou alors au 2e tour par les plus optimistes des adeptes de la météo politique. Le candidat Wade fut élu dès le premier tour avec une majorité nette, par le ‘bââtiin’ ou baraka, des ‘génies’ selon certains mal pensants, par la magie d’un fichier électoral numérisé, malléable à souhait par les techniciens conscrits d’un ‘ministre zélé’ au service d’un ‘buur Saloum’ plus que jamais friand d’actes d’allégeance en cette période pour le moins critique, pour lui-même et pour son régime, qui prétend rester 50 ans ‘à la mangeoire’, pardon au pouvoir, disaient certains ; une mascarade électorale, un hold up….
Toujours est-il que l’opposition groggy après cette débâcle électorale, favorisée, en partie, par son incapacité à se retrouver autour de l’essentiel pour restaurer l’espoir au peuple meurtri et trahi par l’homme du 19 mars 2000, et plus encore par leurs querelles de chapelles, crypto personnelles devrais-je dire, a décidé d’intensifier et de diversifier les stratégies du combat, en brandissant la menace irréversible d’un boycott des législatives, au cas où le fichier ne présenterait pas les garanties d’un scrutin sincère. Ce qui ne fut pas le cas, et ce qui devait arriver arriva ! Une Assemblée nationale presque monocolore, une majorité critique, et peut être même populaire, en marge des institutions de prédilection du jeu démocratique (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique), une opposition dite significative obligée de faire preuve d’imagination, d’obstination et d’initiatives pour assurer sa survie politique… un cocktail explosif sublimé par une trouvaille historique : les assises nationales.
Ces dernières furent boycottées de bonne guerre, mais plus certainement à tort par le pouvoir, avec des menaces de représailles contre les participants à cette séance d’exorcisme national, une œuvre cathartique majeure qui accoucha assurément de la déconvenue électorale sans précédent du parti au pouvoir, au cours des consultations locales de mars 2009. Toutes les grandes villes du pays tombèrent dans l’escarcelle de l’opposition sous la bannière conquérante de Bennoo Siggil Senegaal . Une victoire qui venait conforter le combat de l’opposition et lui donner les motifs d’un oubli de la langue de bois aux lendemains des élections présidentielle et législatives de 2007 et semer la débandade dans les rangs du parti au pouvoir conscient de sa minorité réelle au niveau de l’électorat sénégalais. Une pilule amère, dure à avaler pour les troupes du général Wade, une fessée électorale pour le secrétaire général du Pds qui s’est personnellement impliqué aux côtés de son fils pour lui baliser, selon certains, le chemin du palais de la République via la mairie de Dakar et le Sénat. Echec et mât !!!
Un Ko stratégique pour Wade qui a, tout de même, le don de redistribuer les cartes, électorales si vous voulez ! Une première manche largement gagnée par les forces vives du ‘Bennoo’ qui pousse Wade à trouver de nouvelles stratégies à même de faire prospérer son dessein monarchique… Une tâche pour le moins complexe et compliquée, et Wade le sait mieux que quiconque, lui le génie politique du siècle, le renard mais surtout le maître du jeu comme il aime tant à se définir.
C’est pourquoi il est en train de mettre tout son art politicien au service de ses prétentions, et sa récente déclaration de candidature participe du jeu d’échecs dans lequel il s’engage et compte embourber l’opposition. Abdoulaye Wade connaît l’état des forces politiques en présence et leur représentativité électorale du moment. Il sait qu’il est minoritaire, qu’il ne peut pas gagner démocratiquement. Il sait également que les querelles de leadership dans son parti peuvent saper l’unité d’actions et créer des votes sanctions. Il pense toutefois qu’il peut conserver le pouvoir par la ruse et/ou par la force ; il croit aussi qu’il n’a pas d’opposition capable de lui tenir tête en cas de coup de force. Il pense que les ténors de l’opposition ne se retrouveront jamais autour d’un candidat unique pour sonner le glas de son régime. Il croit aussi pouvoir tromper la communauté internationale en faisant retourner des anciens usés du parti et politiquement amortis comme Idrissa Seck dans le giron libéral, avec un argumentaire arithmétique (Idy avait plus de 14 % et lui plus de 53 %). Même s’il sait mieux que tout le monde que le maire de Thiès est en perte de vitesse (plus de 40 000 voix de moins qu’en 2007), qu’Aminata Tall est laminée à Diourbel, que Jean-Paul Dias a été difficilement élu conseiller régional. Mais il négocie tout de même avec ces perdants. A quelle fin ? Pour gagner honnêtement ? Je ne le pense pas ! Pour créer un électrochoc autour de sa personne et s’offrir une masse polémique, capable de le défendre dans les joutes oratoires et d’initier des coups de Jarnac ? Certainement !
Il compte également sur une campagne marathonienne pour user la capacité de résistance et d’initiatives de l’opposition, tout en espérant que ses ténors s’entredéchirent avant les prochaines joutes et se mettent à dos les populations, dont l’espoir est placé en leur capacité de dépasser leurs égos personnels pour maintenir le puissant instrument qu’est Bennoo, afin de parachever l’œuvre de destitution démocratique du régime Wade. Mais il est dans l’impasse parce qu’il ne sait pas ce que les forces vives et la société civile lui réservent en cas d’éclatement de Bennoo - une candidature indépendante est vite arrivée. Là aussi, il prend les devants pour détruire savamment les potentiels dangers qui peuvent compromettre son règne : Jacques Diouf est méthodiquement discrédité ; Amadou Mactar Mbow fait, quant à lui, l’objet d’une entreprise de déstabilisation éhontée… D’autres subiront le même sort ou pire, s’ils sont étiquetés dangereux. Wade ne reculera devant rien, encore moins ses coyotes qui jouent la préservation de leurs positions de sinécures.
Seulement, il est piégé. Il ne sait pas encore s’il peut faire une dernière coquetterie de grand seigneur à Madame la ‘Présidente’, en léguant le pouvoir à son fils Karim (…) C’est pourtant son vœu le plus cher ! Il est piégé par sa mal gouvernance, pour avoir transformé ce pays en une république bananière où la corruption, la concussion, la gabegie, et que sais-je encore ont droit de cité et sont même érigées en normes de gouvernement. Le pays est géré comme une boutique ambulante ; les deniers publics sont confondus avec les comptes personnels des décideurs politiques ; le contribuable sénégalais est spolié, dévalisé, méprisé et jeté en pâture ; le respect de l’éthique et de la déontologie est classé au rang de contre-valeurs, synonyme de mollesse et de servitude ; l’aplatissement, la flagornerie, le mensonge, la combine, la magouille, l’incompétence, l’indignité, la perfidie, la cupidité, l’hypocrisie, la traîtrise et le reniement sont érigés en principes de fonctionnement et primés sous la dictée de Wade .
Wade sait que les Sénégalais ont horreur de ces tares qui font le lit de sa gestion ; il sait tout aussi qu’il ne pourra pas importer des électeurs, car l’opposition veille au grain. Pourtant, il le tentera. Mais il sait que l’opposition sait.
Le leader du Pds est sans nul doute piégé parce que, s’il comptait sur la mollesse des leaders de l’opposition soit disant ‘républicains’, d’aucuns disent par crainte de la canicule et des odeurs âcres des lacrymogènes, il s’est retrouvé à présent face à des jeunes et des femmes prêts au sacrifice pour défendre ce qui reste de la République. Des citoyens qui ne sont comptables d’aucune gestion antérieure d’un régime quelconque, qui ont d’ailleurs mis le Ps et ses souteneurs hors du pouvoir, et qui veulent prendre leur destin et celui de la nation sénégalaise en main ; des citoyens conscients et déterminés à défendre la démocratie sénégalaise et à remettre en place ‘les balises du comportement vertueux’ dans la gestion des affaires publiques. Ce sont ces jeunesses et ce mouvement de femmes qui empêchent, maintenant, le président Wade de dormir, eux qui ont compris que le leader du Pds ne comprend que le langage de la rue (….) Dont acte !
Les premières notes de l’hymne de la reconquête de la souveraineté populaire ont été jouées le vendredi 6 novembre 2009 entre la Poste de la Médina et la place de l’Obélisque ; le reste suivra, aussi beau, plaisant, résolu et galvanisant. Le pape du Sopi sait que ‘quand le peuple n’a rien, il n’a rien à perdre’ et c’est ce qui arrive aux Sénégalais. Ils sont démunis devant l’opulence insolente des besogneux d’hier devenus, par la grâce de l’alternance, des milliardaires ostentatoires et condescendants.
Pour toutes ces raisons, Wade sait que ses chances sont très réduites, voire compromises. S’il avait oublié que le Ps disposait d’un matelas financier des plus épais lors de la présidentielle de 2000, les dernières élections locales sont venues lui rappeler que l’argent ne suffirait pas : les liasses de billets, les hélicoptères et les incantations de gourous de la communication grassement payés n’ont pas eu le don d’épargner à son régime la déroute électorale du 22 mars 2009.
Le patron du Pds est conscient également que son âge n’est pas un allié indéfectible même si, touchons du bois, sa santé reste assez appréciable. Il lui faudra gérer ce paramètre.
Il s’est offert une constitution taillée sur les épaules amples d’un monarque du 21e siècle, une espèce en voie de disparition. Mais il est tout aussi convaincu que les patriotes et démocrates de ce pays ne lui laisseront jamais faire à sa guise. Il a des citoyens au Sénégal et non des sujets. Un paramètre important qu’il ne perd pas de vue.
Malgré tout, il sait qu’il peut user d’arguties institutionnelles pour semer l’opposition et la pousser à commettre des erreurs fatales. C’est dans ce cirque qu’il faut inscrire les ballons de sondes relatifs à la suppression du second tour, l’élection présidentielle anticipée, la caution à 100 millions, autant d’acrobaties destinées à tâter le pouls du mouvement social, mesurer la capacité d’indignation des citoyens et apprécier les limites du pouvoir de conviction des forces progressistes. Contrairement à son prédécesseur, pour Wade, l’opinion publique compte, il prend toujours sa température, il défie sa capacité de veille et d’alerte et tel un félin pointe le coup fatal au moment opportun, le moment où personne ne l’attend ; il entretient une relation ludique avec le pouvoir et ses administrés. Il est amateur des coups fourrés. Mais il est surpris de la prise de conscience du peuple et de sa ferme résolution à faire la révolution démocratique en 2012 ou avant cette date. Le secrétaire général du Pds est coincé ; il lui faudra réaliser la quadrature de cercle en 2012 pour rester au pouvoir.
Jacques Seckène NDOUR seckene.ndour@gmail.com