L’Indépendance ou la libre dépendance ?
Pendant cinquante années de souveraineté, nous avons certainement acquis la liberté de choix de notre dépendance. En effet, si l’Indépendance signifie prendre son destin en mains, pour se réaliser à l’instar des anciens colonisateurs, cette phrase historique du Président de la France colonisatrice face à nos «porteurs de pancartes» n’a pas été comprise dans le sens qu’il fallait. «S’ils veulent l’Indépendance, qu’ils la prennent.» Cette simplicité dans le langage, pour un tournant aussi décisif dans la vie d’un peuple qui aspire à sa souveraineté, explique bien les difficultés qu’ont nos dirigeants à trouver leurs marques pour réussir le développement qui, loin d’avoir été réalisé au-delà de nos frontières par des sorciers, l’a été par des hommes comme nous, patriotes et engagés dans la dignité.
A mon avis, cette incompréhension des objectifs réels qui doivent guider toute volonté d’accession à l’Indépendance et la non-imprégnation aussi bien de nos dirigeants que du peuple aux valeurs qui fondent la nouvelle République du Sénégal, ont été à l’origine des innombrables échecs notés durant l’exercice des trois Républiques qui se sont succédé à la Magistrature suprême du pays. Nous avons choisi de demeurer toujours indigènes malgré nos cursus académiques remarquables et remarqués à travers les continents.
Après cinquante années d’Indépendance, malgré tout notre héritage colonial et l’expertise reconnue des cadres sénégalais, les politiques prioritaires qui devraient caractériser nos premières décennies d’Indépendance à savoir, l’éducation, la santé, l’eau, l’électricité, etc., n’ont pas encore répondu aux attentes du peuple.
Par conséquent, l’urgence n’est pas de faire le bilan de nos politiques de développement qui sont loin de connaître les succès escomptés, mais plutôt celui de la performance ou non de notre Administration qui a la charge de conduire celles-ci. Ce n’est pas exagéré, au vu de la régression ou de l’immobilisme de nos pays africains après toutes ces années de souveraineté retrouvée, de poser la problématique de la pertinence de nos Etats du point de vue de leur fonctionnement ou plus exactement de l’opérationnalité de nos institutions dont les bras ne sont que nos Administrations.
En effet, sans une Administration républicaine soucieuse du respect strict des institutions, les bilans se succéderont pour se ressembler. Le bon Dieu nous a gratifiés de cette chance de copier en nous épargnant les efforts titanesques qui ont conduit nos semblables à «inventer» la République qui, dans ma compréhension, n’est rien d’autre qu’une religion bâtie par les hommes et pour les hommes mais à l’image de celles révélées. En tant que consensus, elle est donc d’inspiration divine, pour aider à la réalisation d’une vie harmonieuse entre les hommes que nous sommes.
L’Administration européenne a mis des siècles pour se réaliser de telles performances, a-ton l’habitude de dire pour dédouaner notre pays de ce qu’il a chichement réussi dans ce domaine. Mais reconnaissons à l’Europe le mérite d’avoir créé et au Sénégal la négligence de n’avoir pas su faire le plus simple, c’est-à-dire copier. Les Sénégalais n’ont pas la mission de recréer le monde mais de prendre intelligemment le raccourci d’autant plus que les principes administratifs, au-delà des possibilités d’adaptation qu’ils offrent, sont simplement universels.
De ce point de vue, un bilan factuel consistant au décompte des réalisations (en termes d’infrastructures ou autres…) de nos régimes successifs me semble relever d’une trop grande simplicité d’esprit pour un républicain accompli. Ce qui me paraît important après cinquante années d’erreurs, c’est de comprendre les raisons profondes de notre échec au niveau du fonctionnement de nos institutions, de dresser l’état défectueux des lieux pour ensuite proposer les solutions idoines qui ne peuvent être puisées qu’à travers ce que nous avons en commun, c’est-à-dire les instruments que nous offrent la Nation et la République dans toute leur noblesse.
Dans ce sillage, la réflexion sur les Assises nationales doit être davantage approfondie, pour transcender autant que faire se peut, les calculs politiciens, en réglant la trop grande immixtion des confréries dans le fonctionnement de l’Etat laïc et bien d’autres questions de cette nature. Mené à son terme, tout consensus qui en émanerait, devrait, à mon avis, créer les bases objectives d’une émergence soutenue capable de redonner au Sénégal sa place de leader en Afrique, compte tenu de son histoire et des différents avantages qu’il en a tirés.
La théorie est tout à fait inutile pour un pays qui, malgré beaucoup d’acquis dont l’absence serait une honte après cinquante années de souveraineté, ne compte que des urgences. Par conséquent, ne versons pas dans cette logique de bilan que chacun de nous pourrait faire à son niveau. Aucun pays ne s’est construit dans la fourberie. Comprenons simplement que pour faire de bons croyants (musulmans ou chrétiens), la condition sine qua non est d’être de bons citoyens exerçant loyalement la République.
L’espérance sénégalaise ne pourra se réaliser que dans le respect honnête des valeurs républicaines que nous avons librement choisies de copier des pays qui ne se sont développés que par la compétition dans la transparence, le travail et l’esprit de partage. L’engagement et le contrôle citoyens constituent le socle de leur réussite.
Evitons donc de faire comme en religion : «Perdre du temps à prier sans avoir la foi.» Quel gâchis !
A.SY.RAH
boumalick1@yahoo.fr