PATRIARCHE
L’Oeil du Patriarche Avez-vous lu Souleymane Jules Diop ?
Article Par Mamadou Dia Ancien Président du Conseil des Ministres d,
Paru le Mardi 24 Avr 2007
C’est avec un amer sentiment de frustration que nous constatons que les ouvrages critiques contre Abdoulaye Wade et son régime ne sont pas en vente dans les librairies de Dakar ou ailleurs au Sénégal. Il en est ainsi notamment : - du livre de Mody Niane, «Qui est cet homme qui gouverne le Sénégal ?», - du roman de Babacar Sall, «Le stagiaire», - du livre de Souleymane Jules Diop, «Wade - L’avocat et le diable» ; - de la fusion de mes deux premiers Cahiers de l’Oeil du Patriarche,
«Autopsie d’une alternance dévoyée». Le dernier livre d’Abdoulatif Coulibaly avait un temps fait exception, non sans de houleuses péripéties. C’est parce que, nous a expliqué un libraire, il avait eu le temps de passer les frontières avant que les mesures de censure de fait ne soient rendues effectives. Ainsi, il est aisé de constater, qu’à cette exception près, tout livre critique envers Abdoulaye Wade édité à l’étranger est sujet à toutes sortes de tracasseries qui l’empêchent d’être distribué au Sénégal. Ces faits prouvent, une fois de plus, que nous sommes loin d’être dans un pays d’état de droit, comme le prétendent les discours officiels. En effet, les libertés aussi fondamentales dans une démocratie que la liberté d’expression, celle des opinions, la libre circulation des produits culturels, qui sont formellement garanties dans notre Constitution, sont foulées au pied. En France – notre pays modèle – les livres les plus sévères sur le président Chirac sont en bonne place dans les rayons de toutes les librairies. Beaumarchais ne disait-il pas qu’ « il n’y a guère que les petits esprits pour craindre les petits écrits » ? Mais ce qui nous étonne encore plus, c’est le silence prudent de l’association des écrivains sénégalais et des intellectuels en général, ainsi que l’attitude de nos librairies, qui s’abstiennent de s’acquitter de leur droit professionnel en s’autocensurant, pour s’éviter les foudres du pouvoir. C’est le lieu de regretter la disparition brutale du fondateur de la Librairie des Quatre Vents, M. Ali Nehmé, qui fut un exemple de courage et de dignité professionnelle. Cela dit, un ouvrage critique récent sur Abdoulaye Wade a attiré notre attention. Il s’agit du livre du journaliste Souleymane Jules Diop, «Wade - L’avocat et le diable», paru peu avant février 2007. On aurait tort de croire qu’il s’agit d’un livre écrit seulement pour la présidentielle, contre le président Wade, car il apporte des éclairages supplémentaires sur la gouvernance de Wade qui montrent à quel point cet homme est nuisible à notre pays, et qu’il devra répondre de ses actes - au moins - devant le tribunal de l’Histoire. On aurait tort également de croire que l’ouvrage est un produit d’une campagne pro Idrissa Seck, dont l’auteur a été le responsable de la communication, tant il y donne des gages d’objectivité, y compris à l’endroit de son ancien patron. Avec une rigueur toute professionnelle, Souleymane Jules Diop décrit parfaitement la méthode Wade en politique, de son statut d’opposant à celui de chef d’Etat, que l’on pourrait résumer en un mot : charlatanisme politique. C’est ainsi que Wade a fait croire, à ses débuts en politique, qu’il se positionnait en opposant, tandis qu’il rassurait d’un autre côté Senghor qu’il ne ferait que de la contribution. Il poussera même la docilité, nous apprends-t-on, jusqu’à laisser Senghor choisir le nom et le sigle de son parti (p. 52) ! Après Senghor, son combat contre Diouf était toujours moins motivé par l’avènement d’une alternance démocratique que par son enrichissement personnel, but pour lequel il usera, déjà, de la violence, de fraudes électorales, et trempera dans des scandales financiers tel que celui des millions de Taïwan – déjà (pp. 75 à 78).
Le politicien Wade n’a jamais su s’élever à hauteur d’un homme d’Etat
Devenu président, quasiment à sa propre surprise, le politicien Wade n’a jamais su, en fait, s’élever à hauteur d’un homme d’Etat, et laisse libre cours à ses travers : son caractère irascible lui fait multiplier les graves bourdes diplomatiques, avec ses collègues africains comme avec les grands de ce monde. Son côté spontané et, il faut bien le dire, peu réfléchi, lui fait multiplier les déclarations qui en font la risée de la presse internationale, et nous avec. Comme, pour ne citer que cet exemple, lorsqu’il affirme à l’Agence France Presse à Kampala qu’il construira un tunnel de Dakar à Madrid (p. 140). Son goût immodéré pour les fastes et les ors de la République lui a fait faire déjà treize fois le tour du monde dès 2001 (p.164) ! Et, bien entendu, tous ces comportements ne sont pas sans conséquences dramatiques au plan national, où l’on assiste aujourd’hui à un pillage sans précédents des deniers publics, qui sont largement utilisés à alimenter une cour de serfs et de flagorneurs. C’est ainsi qu’un courtisan assidu, qui suit Abdoulaye Wade dans ses voyages - un jour sur quatre en moyenne dans l’année - se voit verser environ cent millions de francs CFA par an au moins, rien qu’en perdiem, calcule Souleymane Jules Diop (p.150), Qui plus est, cet argent, qui est le nôtre, circule également ailleurs de manière on ne peut plus informel : des commissions, à la justification douteuse, de plusieurs centaines de millions de francs CFA, sont payées contre reçu manuscrit sur papier volant (voir les fac-similes en pp. 80 et 81) ! Et, contrairement à ce que Abdoulaye Wade s’échine à vouloir faire croire, son fils Karim n’est pas exempt de tout reproche pour ce qui est de l’argent public (voir p. 159), souvent logé dans des comptes privés d’individus que les Sénégalais ne connaissent ni d’Adam, ni d’Eve. Par ailleurs, des ministres et autres responsables sont nommés puis destitués, et vice versa, selon l’humeur de l’homme ; la violence politique a été érigé, plus que jamais, en mode de gouvernement, et les Sénégalais vivent les délestages et les pénuries de gaz à cause de la gué-guerre personnelle que Wade mène contre Moustapha Niasse, qu’il croit à tort pouvoir asphyxier financièrement en écartant les grands groupes pétroliers de notre alimentation en combustibles (p. 130). Et que dire du traitement de l’affaire de l’assassinat de Me Babacar Seye, pour lequel Souleymane Jules Diop confirme les graves accusations figurant dans l’ouvrage d’Abdou Latif Coulibaly, affaire que l’on tente vainement d’enterrer par une loi d’amnistie scélérate ?!? Tout l’art de Wade, art diabolique s’il en est – d’où peut-être le titre de l’ouvrage – est de tenter de faire croire aux crédules que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et nous en revenons au charlatanisme. En l’occurrence, cela consiste à vouloir nous faire croire que «tous les projets sont financés», alors qu’il en est absolument rien, qu’il a pour le Sénégal une politique agricole, alors que ce n’est absolument pas le cas, même son programme de réseau hydrographique n’étant que le programme de vallées fossiles d’Abdou Diouf rebaptisé (p.120).
Wade doit répondre de forfaiture
En tournant la dernière page de ce livre, ce qui nous reviens à l’esprit et monte sur nos lèvres, c’est la fameuse apostrophe de Gambetta à l’endroit de Jules Ferry au lendemain du désastre de Tonkin au Vietnam : « Nous ne vous connaissons plus ; nous ne voulons plus vous connaître ; nous ne voulons plus parler avec vous des affaires de la Patrie ». En clair, pour nous, Abdoulaye Wade doit se démettre de ses fonctions présidentielles et se présenter devant un jury d’honneur, comprenant des personnalités connues pour leur intégrité, de façon à offrir toutes les garanties d’indépendance et d’équité, pour se laver, en en tant que responsable du destin d’une Nation, des crimes qui lui sont reprochés : crimes de sang, crimes économiques (dont les sept milliards de Taïwan virés sur des comptes privés), crimes contre les institutions républicaines, crime contre notre patrimoine de valeurs traditionnelles et religieuses. Faute de quoi, il appartient à l’opposition et à toutes les forces de refus de prendre l’initiative d’une pétition nationale exigeant la saisine de la Haute Cour de justice, pétition soutenue s’il en est besoin par une grève générale illimitée. La seule affirmation, naguère, selon laquelle la réfection de l’avion présidentielle n’avait pas coûté un franc au contribuable sénégalais constitue en soi une forfaiture, suffisante à le faire traduire devant la Haute Cour de justice. Aujourd’hui, comble d’arrogance, d’inconscience et d’impudeur, ses obligés réclament à cor et à cris un nouvel avion présidentiel, alors que 250 millions CFA pour la réfection des moteurs du Joola auraient suffi à éviter le drame et la souffrance nés du plus grand naufrage de l’histoire. C’est dire que les joutes épistolaires auxquelles nous assistons aujourd’hui ne sont que de vaines querelles de sourds, qui ne peuvent avoir d’autre résultat que de prolonger l’état de non droit et de crise politique, source d’une instabilité qui rend aléatoire toute chance de sortir de la tragédie que nous vivons. Car, avec Wade, le pire est toujours à venir.