Archives et vandalisme
Archives et vandalisme
Au moment où le Sénégal célèbre le cinquantenaire de son accession à la souveraineté internationale, certains faits récurrents nous inquiètent au plus haut point. Les manifestations publiques avec destruction de l’emblème national par le feu, destruction d’archives, ou de biens publics. Au-delà de leur caractère violent, ces manifestations engendrent des conséquences qui peuvent être catastrophiques pour l’avenir de la Nation, si l’on y prend garde.
« Un acte de justice fait avec douceur a plus de pouvoir que la violence de la barbarie ».
Machiavel
Force doit rester à la loi pour le respect et la protection de notre citoyenneté. « Quiconque aura volontairement altéré d’une manière quelconque ou détruit autrement que dans les conditions prévues par les textes en vigueur des documents administratifs ou des documents d’archives publiques ou d’archives privées confiés en dépôt, sera puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans », conformément à l’article 26 de la loi n°2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et documents administratifs.
Il n’existe pas de Sénégalais qui ne soit meurtri à la vue de ce qui s’est passé à Kédougou le 23 décembre 2008 et plus récemment à Vélingara. S’en prendre aux symboles de la République, au nom « du droit à la marche », incendier les archives de la Justice et de l’état civil pour réclamer plus de considérations de la part des responsables politiques du terroir. Voilà le spectacle désolant que nous ont offert ces vandales à l’ère de l’information.
Détruire la mémoire de l’administration, c’est la priver de ses moyens d’action, de sa capacité à conduire les dossiers avec clairvoyance. C’est surtout priver les citoyens de possibilités de défendre leurs droits et leurs obligations devant les institutions publiques. Privé de sa mémoire, le Sénégal devient amnésique. Tel sera le plus court chemin pour effacer son histoire.
Une hypothétique reconstitution de cet état civil est la voie ouverte à toutes les dérives et tricheries pour des faussaires de tout acabit nés outre-frontières. Personne ne saura distinguer la bonne graine de l’ivraie, puisqu’il n’existe pas d’archives de substitution et que la numérisation de l’état civil est toujours au stade d’avant-projet.
Cette agression constante sur nos archives dessert l’Etat, les historiens et les citoyens au sein desquels la communauté archivistique dont nous sommes membre et plaidons la cause. Le métier d’archiviste devient « un métier à risque ». En effet, devant ce phénomène de destruction massive, il n’y aura plus d’archives à classer, répertorier et communiquer. Et la profession ne devra plus avoir sa raison d’être ici au Sénégal.
Les plus pessimistes et les plus inquiets d’entre nous se demandent déjà quelle sera la prochaine localité qui sera attaquée : Dakar, Saint-Louis, Thiès, Tivaouane, Rufisque, Mbour ou Malèm Niani... ?
Le problème des archives est tellement primordial que la communauté internationale a, dès le 14 mai 1954 adopté la Convention internationale à La Haye signée par 45 nations pour la « protection des biens culturels en cas de conflits armés ». L’article premier de cette convention visait expressément : « les importantes collections d’archives », « les dépôts d’archives » et les refuges destinés à les abriter.
Même si on est quelque peu sceptique sur la réalité d’une telle protection, en cas de « guerre totale », l’on ne s’aurait sous-estimer l’importance d’une telle convention dans le souci de sauvegarder la mémoire collective des hommes.
La situation des archives en cas de manifestations de rue et leur reconstitution après le passage des vandales ne sont prévues dans aucune convention internationale et échappent aux principes universels de la doctrine archivistique.
Voilà un très bon sujet de colloque centré sur le cas du Sénégal où archivistes, juristes, historiens et commis de l’Etat pourraient échanger et trouver peut-être des réponses, dans l’intérêt de la construction d’un Etat moderne et d’une administration performante et respectueuse des droits des citoyens.
Pour y arriver, il faut que des mesures soient prises pour que les responsables des collectivités territoriales et toutes les organisations produisant des archives publiques connaissent et respectent désormais les règles de gestion des archives ; de mettre en place des dispositifs afin que les archives ne soient plus livrées au vent et au premier venu.
Atoumane NDIAYE DOUMBIA Conservateur d’archives