Les inondations, un fonds de commerce politiq
La problématique des inondations est devenue récurrente, notamment dans la banlieue dakaroise à tel enseigne que la cohabitation avec les flaques et mares d’eau dans les maisons et quartiers est une chose normale et acceptée malgré elles par une population pour la plupart démunie. C’est même une lapalissade de considérer les effets collatéraux des inondations : pollutions et nuisances émanant des déchets, accroissement de la morbidité du fait de maladies liées à l’eau (diarrhées, paludisme, choléra…), voire de la mortalité, tension sociale ambiante, déchirures de l’urbain dans cet être asocial qu’est la capitale, bombe sociale à retardement, stress, embouteillages monstres dus à des migrations pendulaires, individualisation au détriment de la solidarité, désacralisation du lien social, insécurité urbaine…
Ce visage désolant pour ceux qui ont un comportement éthique, est plutôt une manne et une providence pour d’autres qui y voient une occasion rêvée de s’enrichir. Ne dit-on pas que le malheur des uns fait le bonheur des autres !
C’est indigne pour la capitale sénégalaise dont la notoriété internationale n’est plus à démontrer.
C’est à se dire si les autorités se posent la bonne interrogation du comment faire pour éradiquer définitivement ce mal écologique devenu un fléau socioéconomique, surtout que la presqu’île qu’est Dakar est une cible potentielle au regard des conséquences dues aux changements climatiques.
Or, tout le monde sait et constate que Dakar n’est plus le Cap-Vert, mais il est tout simplement devenu un Cap Béton ! Dakar court même de vivre le scénario du risque majeur (d’ici quand ?) de croupir sous le poids du béton de ses immeubles qui poussent comme des champignons du fait de la forte pression foncière. Tout Dakar pourrait passer alors sous le niveau marin, et être englouti sous les eaux de l’océan atlantique.
Ou alors, l’autre scénario est un processus insidieux qui ferait passer la presqu’île dakaroise actuelle à une baie, puis à une péninsule (avec un isthme ?) pour aboutir à une île ; l’île de Dakar comme celles de Ngor ou de Gorée. La question c’est de savoir le temps qu’un tel processus mettrait !
En attendant cette possible trajectoire de la dynamique de la géomorphologie littorale de Dakar, l’heure est actuellement comme depuis des années maintenant à la problématique de la gestion des eaux pluviales en hivernage.
Certes les responsabilités sont partagées autant entre le pouvoir colonial d’alors, l’Etat-nation du Sénégal indépendant (quelque soit le régime en place), les Collectivités locales et les populations elles-mêmes.
La sécheresse des années 1970 a entraîné une déferlante humaine composée de campagnards qui ont préféré l’exode rural aux difficultés sans cesse croissante dans lesquelles s’enfonce l’agriculture sénégalaise.
Ces nouveaux arrivants sont venus occupés des zones non aedificandi, la plupart inondables, en l’occurrence les vallées fossiles de la zone des Niayes qui se sont asséchées suite à ces sécheresses récurrentes. Ce sont aujourd’hui les quartiers de la banlieue : Guédiawaye, Pikine et Rufisque.
D’autres par contre font les frais d’un défaut d’application du plan directeur d’urbanisme quand il existe, ou bien de réseau d’assainissement vétuste, obsolète et suranné légué par les colons.
Une autre frange de la population, à l’instar des habitants de la mairie de Diamaguène Sicap Mbao, souffre de l’absence ou de l’inefficacité du système d’assainissement routier des voies que sont Tally Mame Diarra (appelé maintenant « Dékhou Mame Diarra ») et Tally Carreaux (« dékhou karo »). Les eaux de ruissellement quittent ces rues plus hautes pour se déverser dans les habitations et ruelles des quartiers à niveau plus bas.
L’urbanisation de Dakar est telle que la surface bâtie a pris une ampleur telle que les zones d’infiltration des eaux pluviales se raréfient, voire sont inexistants même dans certains quartiers ; tandis que les réseaux d’assainissement pour suppléer et accompagner le pavage des quartiers font défaut ou bien sont inefficaces.
Ces situations diversifiées dans l’espace et différemment vécues par les uns et les autres peuvent se résumer en deux principales :
une partie de la population qui est venue occuper des zones inondables. La solution durable c’est la mesure impopulaire des démolitions et déguerpissements qui doit être atténuée par un plan de réinstallation involontaire et un recasement comme ce fut le cas avec l’initiative du Plan Jaxaay grâce à une politique d’habitat social planifié et accessible pour ces populations. Etant donné que l’on ne saurait faire des omelettes sans casser des œufs, une fois les populations déménagées et ces zones dégagées, on pourrait reconstituer et aménager les bassins hydrogéologiques, les bas fonds et les méandres du tracé des vallées fossiles d’antan pour une afforestation et un reverdissement afin d’en faire une opportunité écologique à monnayer dans le marché du carbone ;
une autre frange de la population que les eaux pluviales sont venues trouver dans des zones habitables par défaut, inefficacité ou manque de réseau d’assainissement. A ceux-là, il faudrait un plan d’assainissement incorporé dans leur cadre de vie et réseau routier qui soit approprié et efficace pour les tirer d’affaire.
Au-delà de ces aspects, c’est fondamentalement la question de l’aménagement du territoire de Dakar, et partant du Sénégal qui est posée par les inondations.
Or, cet aménagement du territoire national doit se faire pour reconsidérer la macrocéphale qu’est Dakar par rapport au reste que l’on peut qualifier de désert : autrement dit, « Dakar et le désert sénégalais ». Tout est concentré à Dakar, qui n’a qu’une seule entrée, et une seule sortie. Ce qui n’est même pas souhaitable au plan stratégique, militairement parlant !
Aménager le territoire national, c’est repenser les relations villes/campagnes et remettre en cause les paradigmes coloniaux de l’aménagement du territoire car c’est ce legs que nous gérons jusqu’à présent tant bien que mal. Pire, on a fait de Dakar une principauté comme celle de Monaco avec une hyper-concentration de plus du quart de la population nationale sur 0,28 % de la superficie.
L’option que nous proposons ici et maintenant est d’articuler le schéma d’aménagement du territoire avec le développement agricole ; comme quoi on peut en profiter pour concrétiser la vision de faire de l’agriculture le moteur de la croissance économique au Sénégal (cf. schéma ci-après).
Cet aménagement du territoire s’adosserait sur l’agriculture en tant qu’élément structurant de l’attelage gouvernemental autour de quinze ministères, et une Primature à laquelle on adjoindrait une Haute Autorité de la Justice et une Délégation à l’Aménagement du territoire. Cela signifierait également des mesures d’accompagnement telles que :
une déconcentration administrative pour être plus proche des administrés ;
une décentralisation politique et fiscale au profit des Collectivités locales qui se verrait enfin doter d’une fonction publique locale compétente et étoffée, d’un statut valorisant de l’élu local,
une régionalisation économique qui délocaliserait toutes les opportunités d’affaires dans chaque chef-lieu de région qui deviendrait ainsi un pôle de développement social et économique avec un potentiel de rayonnement et un effet d’entraînement sur les autres entités territoriales de son ressort territorial.
C’est seulement dans cette optique constructive, positive et salutaire qu’on pourrait régler les inondations et cesser d’en faire un gagne-pain et un fonds de commerce pour :
des politiciens véreux en mal de reconnaissance par une clientèle de plus en plus citoyenne, responsable et avertie. Ce qui explique la peur bleue qu’ont éprouvée les autorités, déconcentrées comme décentralisées, à venir compatir avec les sinistrés climatiques ;
le règlement de comptes sous forme de vendetta de l’Etat qui montre une indifférence totale et un attentisme pour « sanctionner » les mairies qui sont passées dans le giron de l’opposition suite à l’avertissement donné lors des élections du 22 mars 2009 ;
le gouvernement qui en userait pour collecter et lever des fonds via une aide publique au développement dont la destination pourrait souffrir de détournements d’objectifs ;
des agents de l’Etat qui y voient une occasion de passation de marchés juteux et pseudo-transparents pour l’achat de motopompes, de groupes électrogènes, de carburants et lubrifiants, de perdiems et frais de missions (sapeurs pompiers)… ;
certaines ONG et autres organismes caritatifs qui excellent dans l’art de renouveler à souhait et avec aisance les mécanismes d’appauvrissement et de paupérisation de la population, en les instrumentalisant pour utiliser et abuser des aides humanitaires, etc. En définitive, si les inondations ne sont que le révélateur d’une mal gouvernance que connaît le Sénégal depuis plus d’une décennie, cette situation ne peut perdurer car Dakar étouffe malgré son étalement urbain qui ne saurait être élastique à souhait.
De l’exode rural, la tendance lourde des années à venir est un « exode urbain » : les populations devront, tôt ou tard, quitter Dakar pour repeupler, ou retourner dans leurs terroirs d’origine ou bien regagner d’autres contrées du Sénégal beaucoup plus clémentes, à défaut d’émigrer à l’étranger afin d’y vivre paisiblement et honnêtement.
Mohamed Simon NDENE,
Citoyen et sinistré écologique de la Banlieue.
EMAIL : ndenesimon@yahoo.fr